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vait pas périr là, l’esprit des hommes qui pouvaient la perdre fut tourné par une puissance invisible.

Douze membres de la section assistaient à ces recherches. Assis autour d’une table au milieu du salon, ils terminaient toujours leur visite par un interrogatoire long et détaillé, qu’ils faisaient subir à la prisonnière. La première fois, cette espèce de jury révolutionnaire fut présidé par un petit bossu, cordonnier de son métier et méchant autant qu’il était laid. Cet homme avait trouvé dans un coin un soulier qu’il prétendait être de peau anglaise : l’accusation était grave. Ma mère soutint d’abord que le soulier n’était pas de peau anglaise ; le cordonnier président insista.

« C’est possible, » dit à la fin ma mère, « vous devez vous y connaître mieux que moi ; tout ce que je puis vous dire, c’est que je n’ai jamais rien fait venir d’Angleterre ; si ce soulier est anglais, il n’est donc pas à moi. »

On l’essaie ; il va au pied. « Quel est ton cordonnier ? » demande le président. Ma mère le nomme : c’était le cordonnier à la mode au commencement de la Révolution ; il travaillait à cette époque pour toutes les jeunes femmes de la cour.

« Un mauvais patriote, » répond le président bossu et jaloux.

« Un bon cordonnier, » dit ma mère.