Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/113

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Telle fut la vie de ma mère après la mort de son mari. Cette vie dura pendant les derniers six mois de la terreur ; belle-fille d’un condamné, femme d’un autre condamné, célèbre par son courage et sa beauté, arrêtée sur une tentative d’émigration, dont elle même avait dédaigné de se justifier, puisqu’on l’avait surprise en habit de voyage, et qu’un faux passeport avait été saisi dans sa poche, c’est par une espèce de miracle qu’elle put échapper si longtemps à l’échafaud.

Plusieurs circonstances singulières concoururent à son salut ; pendant la première quinzaine de sa détention, elle fut reconduite chez elle à trois reprises ; là on leva les scellés, et l’on visita ses papiers en sa présence. Par une volonté qui semble providentielle, aucun des espions chargés de faire ces minutieuses perquisitions n’imagina d’aller regarder sous le grand canapé où se trouvaient les importants papiers qu’elle y avait jetés pêle-mêle par brassées, au moment même de son arrestation. Elle n’avait osé charger personne de les retirer de leur cachette ; d’ailleurs, chaque fois qu’on la ramenait à sa prison, les scellés étaient réapposés devant elle sur toutes les portes de son appartement. Dieu voulut donc que ce meuble fût oublié, tandis que dans le même cabinet on défonçait sous ses yeux le milieu d’un secrétaire pour en fouiller la cachette ; et, se livrant, selon l’esprit du temps, aux