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Versailles, et par les vertus surnaturelles qu’on acquérait sur les marches de l’échafaud de Robespierre, quand on avait du cœur. Tout le charme de l’esprit français du bon temps, tout le sublime des caractères antiques, se retrouvaient en ma mère, qui avait la physionomie et le teint des blondes têtes de Greuze avec un profil grec.

Quand il fallut manger à la gamelle, à des tables de plus de trente prisonniers de tout rang, ma mère, qui de sa nature était la personne du monde la plus dégoûtée, ne s’aperçut même pas de cette aggravation de peine introduite dans le régime de la prison à l’époque de la plus grande terreur. Les maux physiques ne l’atteignaient plus. Je ne lui ai jamais vu que des chagrins ; ses maladies étaient des effets, la cause venait de l’âme.

On a beaucoup écrit sur les singularités de la vie des prisons à cette époque ; si ma mère avait laissé des Mémoires, ils auraient révélé au public une foule de détails encore ignorés. Dans la prison des Carmes, les hommes étaient séparés des femmes. Quatorze femmes avaient leurs lits dans une des salles de l’ancien couvent ; parmi ces dames se trouvait une Anglaise fort âgée, sourde et presque aveugle. On n’a jamais pu lui faire comprendre pourquoi elle était là : elle s’adressait à tout le monde pour le savoir : le bourreau a répondu à sa dernière question.