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des cris de mort la menacent : « L’aristocrate à la lanterne ! On la traîne déjà par les cheveux vers le réverbère de la rue Nicaise, comme on disait alors. Une femme m’avait arraché des bras de la malheureuse, lorsqu’un homme, qui paraissait plus furieux que les autres, fend la foule, éloigne un instant les énergumènes acharnés contre la victime, et, faisant semblant de ramasser quelque chose à terre, lui dit à l’oreille : « Vous êtes folle, vous êtes folle, entendez-moi bien, ou vous êtes perdue ; sauvez-vous, ne craignez rien pour votre enfant, je vous le porterai de loin, mais contrefaites la folle, ou vous êtes morte. » Alors Nanette se met à chanter, à faire toutes sortes de grimaces : « C’est une folle, » dit celui qui la protége ; à l’instant d’autres voix répondent : « Elle est folle, elle est folle, vous le voyez bien ; laissez-la passer ! » Profitant du moyen de salut qu’on lui offre, elle s’échappe en courant et en dansant, traverse le pont Royal, s’arrête à l’entrée de la rue du Bac, et là elle se trouve mal en me recevant des mains de son libérateur.

Nanette, grâce à cette leçon, devint sage par attachement pour moi ; mais ma mère ne cessa de redouter son audace et ses accès de franchise.

Dès son entrée en prison, ma mère éprouva un sentiment de consolation ; là du moins elle n’était plus seule ; elle se lia aussitôt d’amitié intime avec quel-