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TRISTAN ET ISOLDE.

le troisième acte, où, presque immobile, il savait faire passer un tel souffle de poésie, de douleur, d’amour, dans ses phrases haletantes[1]. J’ai déjà dit que presque toutes ses incarnations offrent quelque minute saisissante, inoubliable… Rappelez-vous l’instant de sa mort, lorsqu’il accourt en chancelant au-devant de sa bien-aimée, murmure simplement « Isolde ! » et défaille tout en la fixant éperdument de ses yeux qui semblent devenir vitreux !… Les larmes montent, irrésistibles !

Van Dyck resta le seul Tristan jusqu’en 1912, où le valeureux ténor de la Monnaie, Verdier, parut deux fois dans le rôle, non sans caractère, et 1913, où la belle voix de Paul Franz et sa sûre articulation suppléèrent à un ton encore trop égal, un geste trop impassible.

Parmi les Kurwenal qui succédèrent à Delmas, l’excellent baryton Dufranne est surtout à signaler, pour sa rudesse sonore et son jeu attentif. Brangaine mit particulièrement en relief Mlle  Le Senne, qui donnait bien toute sa valeur au personnage. Quant à Isolde, chacune de ses interprètes doit être rappelée. Il est superflu d’insister sur le plaisir qu’on éprouva à revoir Félia Litvinne, si noble et si pathétique, mais l’apparition, pour quelques soirs, de Mme  Nordica, fut loin d’être sans attrait ; Marcelle Demongeot, dont la profonde étude du rôle était mani-

  1. « C’est (écrivait un jour, très justement M. Pierre Lalo) l’unique Tristan qui ne soit pas opprimé, accablé, écrasé par cet acte formidable et sublime. Tous les autres paraissent y soutenir une lutte inégale : la plupart succombent : les moins débiles ont une bataille indécise ; aucun ne tient la victoire. M. Van Dyck seul donne la sensation qu’il mène le combat à son gré, qu’il domine et possède le rôle, tant la composition en est ferme et puissante. Et en même temps que cette composition et cette autorité, il a l’émotion ; on ne peut exprimer avec plus de force la fièvre, l’angoisse d’amour et la mort de Tristan. »