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ET SES INTERPRÊTES.

Pendant la dernière guerre, tel de nos Français prisonniers, musicien, cherchant à causer de son art avec les Allemands qu’il rencontrait, s’apercevait avec stupeur que le nom même du maître « national » était parfaitement ignoré d’eux.

Pour rester sur le terrain de l’intelligence et de l’exécution de son œuvre, on se souvient des enthousiasmes de Wagner à Paris, soit devant la révélation de Beethoven, soit, plus tard, aux répétitions de Tannhaeuser : « Je déclare hautement, écrivait-il à Wesendonck, que je n’ai encore jamais été à pareille fête, et, qu’en Allemagne, je n’y arriverai certainement jamais ». À Bayreuth enfin, on tient de lui cette parole : « Je ne suis pas inquiet avec les Français. Ils finiront par m’interpréter mieux que les Allemands. » — Et voilà mon dire justifié.

Wagner savait à qui il avait affaire. Peut-être même pensait-il, comme Nietzsche encore : « qu’un artiste ne peut avoir d’autre patrie que Paris[1] ». Depuis sa jeunesse il n’avait cessé de tenir ses regards rivés sur la France, et sa vie était hantée du regret de n’avoir pas reçu chez nous cet accueil qui avait été également refusé à Mozart mais qui avait assuré le triomphe de Gluck. Comme Mozart cherchait dans notre théâtre le thème de ses inspirations, Wagner s’était épris de nos épopées : Lohengrin,

    il avait télégraphié à un sien ami de cette ville, pour retenir un fauteuil. Mais l’ami, courant tout droit à la pièce en vogue, lui avait apporté une place pour un petit théâtre où se jouait alors une comédie « empruntée » au répertoire français. « Je n’aurais jamais cru (telle fut son excuse) que vous voulussiez perdre ainsi votre soirée… Ce Wagner est une façon de maniaque, protégé par le Roi. Ses pièces sont assommantes à en mourir ! »

  1. Il écrivait, en tous cas, à Liszt, « en pensant avec un véritable dégoût à l’Allemagne » (en 1860) : « Crois-moi, nous autres, nous n’avons pas de patrie ».