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L’ANNEAU DU NIBELUNG.

un orchestre particulièrement souple et fondu sous sa main. À la Société des Concerts du Conservatoire, ce même orchestre, car c’est presque le même, devait deux jours plus tard, l’élire son chef, et c’est assez dire. Il a tenu, d’ailleurs, à donner l’ensemble, drame et prologue, dans son intégralité, et l’on ne saurait trop l’en louer, tout en regrettant le parti, médiocrement digne d’une pareille enceinte, qui, pour les premières soirées, chercha des succès de mode en organisant au buffet des « dîners-entr’actes ».

Il n’avait pas manqué non plus d’appeler à lui Ernest Van Dyck comme protagoniste de l’interprétation. L’apparition de ce valeureux artiste, dans la clarté soudaine de la scène, dans la flamme de l’orchestre, au moment où les trois Nornes se sont enfoncées sous terre…, l’élan jeune, enthousiaste, avide de vie et de liberté, avec lequel il bondissait en quelque sorte de la grotte, suivi de Brunnhilde tenant en main son cheval Grane… ce fut vraiment une minute glorieuse. Il y avait d’assez longues années qu’aucun nouveau personnage wagnérien ne nous avait été révélé par lui. Dans l’évocation de Siegfried, il sembla résumer à la fois la claire jeunesse de ses premières créations et la pleine et forte autorité de sa longue expérience. Avec ses oppositions et ses nuances, avec cette âme naïve qui se connaît à peine et qui ne s’appartient pas, qu’une trahison obscurcit et égare, qu’une fatalité ballotte à son gré, ce rôle est probablement le plus difficile à bien rendre, de tout le répertoire. Van Dyck, comme chanteur, comme comédien, comme artiste, le mit en relief, le vécut, de la façon la plus absolue. Les sonorités graves, qui donnent tant de caractère au personnage, prenaient avec lui une intensité singulière : les finesses charmantes de son dialogue avec les Filles du