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Mais non, rien, Rien où reposer son regard parmi ce gris blafard, uniforme et spectral, où le ciel paraissait toucher la terre et bouchait la vue, à moins d’un mille.

Tout en avançant, la jeune femme interrogeait le sol à chaque pas, s’efforçant de découvrir ces poches d’air que lui avait signalées Pierre Radisson et où elle aurait pu soudain disparaître. Mais elle ne tarda pas à s’apercevoir que tout devenait semblable, sur la neige et sur la glace, pour sa vue brouillée par le froid. Les yeux lui cuisaient, avec une douleur croissante.

Puis le fleuve s’épanouit en une sorte de lac, où la force du vent se fit à ce point terrible que Jeanne en trébuchait à toute minute et que quelques pouces de neige lui devenaient un obstacle insurmontable. Kazan continuait, sous les harnais, à tirer de toutes ses forces. À peine réussissait-elle à le suivre et à ne point perdre la piste. Ses jambes étaient lourdes comme du plomb et elle allait péniblement, en murmurant une prière pour son enfant.

Il lui parut soudain que le traîneau n’était plus devant elle qu’un imperceptible point noir. Un effroi la prit. Kazan et bébé Jeanne l’abandonnaient ! Et elle poussa un grand cri. Mais ce n’était là qu’une illusion d’optique pour ses yeux troubles. Le traîneau n’était pas distant d’une vingtaine de pas et un bref effort lui fut suffisant pour le rejoindre.

Elle s’y abattit avec un gémissement, jeta ses bras éperdument autour du cou de bébé Jeanne et enfouit sa tête dans les fourrures, en fermant les yeux. L’espace d’une seconde, elle eut l’impression du « home » heureux… Puis, aussi rapidement, la douce vision se fondit et elle revint au sens de la réalité.

Kazan s’était arrêté. Il s’assit sur son derrière en la regardant.