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puis s’essuyait rapidement la bouche et la barbe, afin que Jeanne n’y vît point les rouges macules.

Jeanne ne savait trop que penser et se doutait bien qu’il lui cachait la vérité. Mais Kazan, avec cette étrange connaissance des bêtes que l’homme ne peut expliquer et dénomme instinct, aurait dit, s’il avait pu parler, ce que Pierre Radisson dissimulait. Il avait entendu d’autres hommes tousser de la sorte, ses ancêtres chiens en avaient ouï aussi, tandis qu’ils tiraient les traîneaux, et la certitude s’était formée, dans son cerveau, de ce qui s’ensuivrait fatalement.

Plus d’une fois déjà, il avait, sans y être entré, flairé la mort qui frappait sous les tentes indiennes et dans les cabanes des blancs. Bien des fois, de même qu’il devinait au loin la tempête et l’incendie, il l’avait reniflée, alors qu’elle ne faisait que rôder encore autour de ceux qu’elle frapperait bientôt. Et cet intersigne de là mort, qui planait dans l’air, semblait lui dire, tandis qu’il suivait le traîneau en arrière de Pierre, que celle-ci était proche, qu’il la frôlait à chaque pas,

Il en était dans une agitation étrange et anormale. Chaque fois que le traîneau faisait halte, il venait fébrilement renifler le petit bout d’humanité qui était enfoui dans la peau de lynx. Jeanne arrivait prestement, pour surveiller l’animal, et passait la main sur les poils grisâtres de sa tête. Alors il se calmait et la joie entrait secrètement en lui.

La seule chose essentielle que Kazan parvint nettement à comprendre, en cette première journée, c’est que la petite créature du traîneau était infiniment précieuse à la femme dont il recevait les caresses et qui si mélodieusement lui parlait. Et plus lui-même semblait prêter attention et s’intéresser à la petite créature, plus aussi la femme semblait contente et ravie.