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qui allait disparaître derrière les arbres, et la salua d’un geste. Une grande émotion était empreinte sur son visage. Ses yeux étaient humides de larmes.

— Adieu ! Adieu ! s’écria-t-elle.

Tu n’as pas de chagrin au moins ? lui demanda son mari. Cela te contrarie que nous partions ?

— Non, non ! répondit-elle vivement. Mais j’aimais ces belles forêts et cette sauvage nature. Presque toute ma vie s’y est écoulée, en compagnie de mon pauvre père, dont je laisse le corps derrière moi. Aucune ville, pour moi, ne vaudra jamais cela.

Un sanglot s’étrangla dans sa gorge et elle reporta ses yeux vers le bébé…

Depuis quelques minutes, la pirogue, prise par le courant, filait rapidement.

Se détachant d’une des rives du large fleuve, une longue bande de sable s’avançait dans l’eau et formait une sorte de presqu’île plate et dénudée.

Le mari de Jeanne, l’appelant, lui montra, sur cette langue sablonneuse, une petite tache sombre qui allait et venait. Elle reconnut Louve Grise, Louve Grise dont les yeux éteints se tournaient vers Kazan. À défaut de la vue, l’air, qu’elle humait, lui disait que Kazan, et l’homme et la femme avec lui, s’en allaient, s’en allaient, s’en allaient…

Kazan s’était dressé, raide, sur ses pattes, et regardait.

Louve Grise, cependant, qui comprenait, au bruit des rames, que la pirogue s’éloignait, était venue tout au bord de l’eau. Là, s’étant assise sur son derrière, elle leva la tête vers ce soleil qui pour elle n’avait plus de rayons, et jeta à l’adresse de Kazan une longue et retentissante clameur.

La lanière glissa de la main de Jeanne. La pirogue fit une formidable embardée et un gros corps brun troua l’air. Kazan avait disparu.