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PRÉFACE

pendant la presque totalité de sa carrière scientifique furent également très restreintes. Il n’eut un crédit de laboratoire suffisant qu’après sa nomination de professeur à la Sorbonne. Nos recherches si coûteuses, relatives à la découverte du radium, ont été menées à bien grâce à une subvention de l’Institut et à des dons privés.

Et cependant cet homme, qui s’est toujours montré indifférent aux conditions matérielles de la vie et totalement dépourvu d’exigences personnelles, désirait avoir un laboratoire bien installé, un abri tranquille et favorablement disposé pour sa vie laborieuse. C’était un de ses rêves qui ne devait jamais s’accomplir. Il s’en préoccupait et y pensait souvent. On sait qu’il ne voulut point accepter d’être décoré ; à l’époque où cette proposition lui a été faite, il crut utile d’appeler l’attention sur l’objet de son désir, et dans une lettre qu’il écrivit pour décliner la distinction qu’on lui offrait il s’exprimait en ces termes : « Je n’éprouve pas du tout le désir d’être décoré, mais j’ai le plus grand besoin d’avoir un laboratoire. » Il était, hélas ! plus facile de lui offrir ce dont il se désintéressait que ce qui l’aurait rendu heureux.


Pierre Curie fut un de ces hommes qui ont fait de leur œuvre le but principal de leur activité et la préoccupation dominante de leur vie. Déjà épris de la recherche scientifique alors qu’il n’était presque qu’un enfant, il lui voua l’effort persévérant et le labeur incessant de sa trop courte existence, lui sacrifiant toute distraction, toute relation mondaine, le repos même de ses vacances. Ainsi sa vie resta toujours en accord avec l’idéal de sa jeunesse, et, conformément à la pensée de ses vingt ans, exprimée dans des pages écrites par lui à cette époque, il réussit à « faire de la vie un rêve, et faire d’un rêve une réalité ».

Grave et silencieux, il vivait volontiers avec ses pensées et ne pouvait supporter l’agitation extérieure. En dehors de son travail, il aimait surtout les excursions dans la campagne ;