Page:Cros - Le Collier de griffes, 1908.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Je suis belle et forte, j’ai enfanté sans douleur un fils audacieux et je suis devenue plus attirante pour mon amant, à cause de ma forme opulente et lisse.

Je suis la plus belle des femmes et quand j’ai paru aux yeux des hommes, tous ont voulu m’avoir.

Ainsi de grandes discordes et de grands désastres. J’ai parfois pleuré au nom de ceux qui étaient tombés pour moi, car il y avait parmi eux de fiers regards et de hautes âmes que j’aurais bien aimés.

Et pourtant j’ai été heureuse quand le plus beau de tous, celui qui avait le regard le plus puissant, puisqu’il était le dernier vainqueur, est venu me demander mon âme et mon corps.

Je lui ai donné mon âme et mon corps, heureuse que le sort me l’ait choisi en ces combats où tant d’autres sont tombés, entre lesquels j’aurais peut-être hésité.

Quand je m’abandonne sur les coussins, courbant mes bras au-dessus de ma tête, l’attirance de mes clairs regards, de mes seins solides, de mes flancs neigeux, de mes lourdes hanches est toute-puissante.

C’est pour cela que tant d’hommes ont été ravis, que tant d’hommes se sont tués.

Et celui qui m’a prise est tout entier possédé par l’attirance de mes yeux clairs qui reluiront en des poèmes éternels, est subjugué par l’abandon de mes