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? — K. Z. W. R. — 13

me contentant d’un sourire, d’une fleur, d’un furtif serrement de main.

— Plaignez-vous ! J’avais vingt-six ans, j’étais femme, très femme, et vous vingt-deux ! Vous me faisiez l’effet d’un enfant, et vous jouiez les Chérubins, triste ! Vous étiez élégiaque, sentimental, un peu ridicule.

— Je le sais bien.

— Pour une femme comme moi, vous auriez pu être un jouet…

— Je l’ai été.

— Non, je vous jure. Au fond, j’étais flattée de votre amour si jeune, si parfumé. Ne m’en voulez pas de m’avoir aimée alors. N’avez-vous pas gardé un souvenir charmant de notre flirt ?

— Et vous ?

— Oh ! moi…

— Pourquoi, dès lors, à la mort de votre mari, n’avez-vous pas voulu m’épouser ? Je vous l’ai demandé à ce moment ?

— Dame, au fond, je ne sais pas. Mais l’état de veuve me paraissait nouveau, agréable, et puis la différence de votre âge et du mien : à vingt-quatre ans, un homme est toujours un enfant, et j’en avais alors vingt-huit ! L’âge où l’on commence à réfléchir.

— Dites plutôt que vous ne m’aimiez pas, la seule et la vraie raison. Je ne récrimine pas, voyons, avouez ?

— Mais non, et vous me plaisiez.

— Ah ! Je ne vous comprends plus…

— Même si vous…

— Si je ?

— Et si vous me demandiez encore aujourd’hui ce que vous m’avez demandé il y a quatre ans, je…

— Vous ?

— Ah ! Aidez-moi un peu, vous me laissez parler toute seule, et c’est très difficile, le monologue !

— Mais je ne sais trop quoi dire pour soutenir la conversation.

— Vous m’avez très bien comprise. Avouez-le.

— Eh bien oui, je l’avoue, je vous ai comprise.

— Alors ?

— Alors, il me reste à vous demander de ne pas m’en vouloir, mais…

— Mais vous me refusez.

— Vous êtes-vous donc offerte ?

— Ne faites pas l’innocent. Vous savez fort bien qu’aujourd’hui, si vous me demandiez d’être votre femme, je répondrais oui. Seulement vous ne me le demandez pas.

— Pardon, je ne vous le demande plus.

— La jolie distinction.

— Excusez-moi encore une fois, mais pourquoi vous résoudre aujourd’hui à ce que vous n’avez pas voulu faire autrefois ?

— Pour des tas de raisons. D’abord parce que, malgré que le nombre des années qui nous sépare n’ait pas varié, la différence de goûts, d’habitude, est moins grande maintenant, ou tout au moins il me semble qu’elle l’est, et puis…

— Puis ?

— Puis, que sais-je. Ce sont des choses très difficiles à dire pour une femme, je vous aime peut-être maintenant ; je ne vous aimais pas autrefois. Plaignez-vous donc ! Qu’est-ce que vous avez à me reprocher ? Vous me semblez médusé. Vous m’avez aimé follement, sans rien obtenir ; c’est votre idée, ne croyez pas cela. Votre image a tenu en moi une grande place, très enviable. Peut-être direz-vous que je suis une vilaine coquette et auriez-vous un peu raison. Je suis cependant très fière d’avoir excité cet amour d’adolescent, cet amour ingénu, can-