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sur le bureau : en le tirant à lui il fit tomber quelque chose sur le tapis.

— Oh ! pardon, et se précipitant, il ramassa un grattoir en acier. Diable, dit-il en reposant l’instrument sur le bureau, ce grattoir est de taille, c’est presque un couteau-poignard !

Et, en effet, la lame n’en mesurait pas moins de 20 centimètres de longueur.

— Vous le voyez, nous faisons tout en grand en Amérique, même les grattoirs, dit le banquier en riant, et reconduisant Marius jusqu’à la porte de son bureau, il prit congé de lui après une vigoureuse poignée de mains.

À peine avait-il laissé retomber la seconde porte matelassée, que celle-ci se rouvrit pour donner passage au chef des huissiers de la banque, Henderson, attaché au service particulier du chef de la maison.

Henderson demanda :

— Puis-je faire entrer Mistress John Kendall ?

— Faites entrer.

Et une ombre de contrariété passait sur le visage de Weld.


— Que veut-elle ? continua-t-il à part lui.

Mais, gentleman avant tout, et quelqu’ennui qu’il parut éprouver à l’annonce de cette visite, il se dirigea vers la porte pour souhaiter la bienvenue à la jolie femme qui parut sur le seuil.

La visiteuse était certes, comme on l’aurait définie en Amérique, une « professional beauty » : un visage régulier animé par des yeux superbes, d’admirables cheveux « auburn » et une taille d’une telle proportion, que grande, cette femme paraissait cependant svelte et fine.

Elle entra sans manifester aucune gêne et tendant la main au banquier.

— Bonjour, vous êtes seul ?

— Qui, Jarvis est sorti pour quelques heures.

— Alors, je puis vous parler ?

— Mais certainement.

— Vous savez que je suis un peu gênée.

— De quoi ?

— Mais de venir ici, seule, et de me trouver ainsi avec vous.

— Ce n’est cependant pas la première fois.

— C’est vrai, mais il y a si longtemps de cela.

— Si longtemps ?

— Six ans ! j’avais vingt-six ans alors.

— Et mol vingt-deux.

— Me dites-vous cela pour me rappeler que vous êtes, plus jeune que moi ?

— Non, car vous êtes plus jeune et plus jolie, que jamais.

— C’est vrai ?

— Bien vrai.

— Vous ne dites pas cela pour me faire plaisir ?

— Je constate un fait, je vous assure.

— Vous me trouvez aussi jolie qu’il y a six ans ?

— Plus troublante encore.

— M’aimeriez-vous encore, comme il y a six ans ?… Vous ne répondez pas ? Vous m’aimiez cependant ?

— Comme un fou : comme dans les romances, comme on aime à vingt ans. Mais comme vous vous êtes jouée de moi ! Comme, en me donnant des espérances, vous m’avez désespéré !

— Vous êtes étonnant, j’étais mariée, Georges.

— C’est vrai, et tant que votre mari a vécu, je vous ai adorée en silence,