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— Vous avez perdu, dit Borchère en lui montrant quatre as.

Et comme il avançait sa main vers les enjeux :

— Pardon, dit Stockton, il y a une carte par verre à côté de vous, monsieur de Borchère.

La règle est formelle : le coup était nul

Sans aucune discussion, chacun reprit son enjeu, les deux autres joueurs plaignant Borchère de son mécompte.

Celui-ci était visiblement décontenancé par ce coup imprévu. À partir de ce moment, il parut privé de son sang-froid. Il joua nerveusement et perdit rapidement l’argent qu’il avait amassé. Comme on lui demandait s’il remettait la partie et tandis qu’il hésitait à répondre.

— Vous craignez la déveine ? demanda Marius.

— Peut-être est-ce moi qui vous porte guigne.

Et Stockton, se levant, ajouta : Je vais faire un tour au Salon, il me semble qu’on y fait de la musique. Bonne chance à tous et à tout à l’heure, dit-il au moment où il allait passer la porte.

Puis, remettant négligemment à ses lèvres une fine cigarette de tabac blond, il disparut.



Au salon de conversation, Ketty, accompagnée au piano par madame d’Espartoso, chantait avec un succès fou.

Après l’air des Bijoux, de Faust, susurré les yeux au plafond par une cantatrice mondaine, madame Roseti, dans la crainte de devoir subir une nouvelle fois un aussi piètre régal, avait demandé à Ketty de lui répéter une chansonnette qu’elle lui avait entendu fredonner le matin sur le pont. Ketty ne se fit pas prier et madame d’Espartoso ayant trouvé dans le casier à musique du bord des albums de vieilles chansons et obtenu le silence de l’auditoire, elle commença.

Tour à tour, Ketty chanta en anglais, en espagnol, en français. Son succès tint du délire, lorsque, confuse, elle annonça une imitation de ces danses chantées que font les « girls » dans les music-halls.

— Savez-vous que vous dansez mieux qu’une professionnelle ? déclara la vieille madame d’Espartoso.

— Je n’ai cependant jamais appris, déclama la jeune folle, rougissant jusqu’aux oreilles de s’être ainsi laissée reprendre par l’amour du métier.

On la complimentait encore, lorsque Stockton entra :

— Vous êtes seul ? Et ses yeux cherchaient Marius.

— Oui, ces messieurs font un poker acharné.

— Voulez-vous m’offrir votre bras pour aller chercher mon fiancé ?

— Mais ne vous dérangez pas, je retourne près de lui et je vous l’envoie.

La partie avait changé de face : décidément Stockton portait malheur à Borchère. Depuis son départ celui-ci abattait des jeux superbes et en quelques coups de cartes il avait décavé ses adversaires.

Marius allait remettre sa cave pour la seconde fois quand Stockton l’avertit que Ketty le demandait. Il se leva avec un peu de mauvaise humeur, comme tout joueur à qui on enlève la chance de se refaire, et comme il allait partir, au grand regret des autres…

— Voulez-vous, lui dit Stockton, que nous fassions une masse commune