Page:Cromarty - K.Z.W.R.13, 1915.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.

axiomes, qui, comme lui-même, semblaient s’échapper d’un livre de géométrie !

Lorsque la conversation s’animait, quand toute la table s’amusait des saillies du capitaine ou de Marius, des remarques toujours fines du comte de Borchère, il avait une façon de rire qui n’appartenait qu’à lui. Sa bouche aux lèvres minces s’entr’ouvrait, laissait échapper un petit grincement rappelant assez le bruit d’une porte mal huilée et se refermait progressivement pendant que le reste de sa physionomie restait imperturbablement immobile et glacé.

Quant à monsieur Roseti, c’était un mari dans toute l’acception du mot, et le comte de Borchère, le type du gentilhomme accompli, jusqu’au bout des ongles, comme le disait Marius.

En ceci, cependant, notre ami se trompait.

Grand, mince, de taille élancée et bien prise, les épaules larges d’un homme habitué à tous les sports, la figure distinguée, le comte avait, à l’examen, des mains inquiétantes, soignées, certes, mais, plutôt longues que fines, les doigts légèrement spatulés. Mauvais signe, aurait dit un émule de Bertillon, Mais personne, sans doute, ne faisait attention à ce détail.

Pour reprendre la définition de Marius et afin de définir avec précision le comte de Borchère, celui-ci était gentilhomme « jusqu’aux poignets ».

Comme on riait encore d’une réponse du capitaine à une plaisanterie de Marius, madame Roseti s’étonna de la différence d’esprit de ces deux « gens du Midi », tous deux si vivants, si spirituels.

— Ce qui m’amuse le plus, dit-elle, chez vous autres Français, c’est cet esprit de répartie, cette facilité dans la réponse qui fait que vous avez toujours quelque chose à dire à n’importe qui, sur n’importe quoi ! Et, ce qui m’étonne aussi, c’est cette différence dans l’esprit, Les Français de Bordeaux sont autres que ceux de Marseille, et les Parisiens diffèrent également des Français du nord ou de ceux de la Touraine.

— Sans doute, répondit Roseti, ces différents caractères s’apparentent-ils à la variété des produits du sol ?

— En tous cas, ce sol est partout fertile, intervint Stockton en s’inclinant poliment.

— Et tous les Français spirituels ! crut devoir appuyer Roseti.

— Mais, continua le comte de Borchère, la diversité de nos façons n’empêche pas que nous soyons tous enfants d’une mère commune.

— Vous sortez tous d’une mine de diamants, surenchérit la vieille madame d’Espartoso.

— Vous êtes trop gracieuse et vous me fournissez une comparaison trop facile. Notre esprit, peut-être, est pareil au diamant, à mille facettes, mais chez les uns — et il s’adressait au capitaine — il est taillé plus finement, et chez les autres — et le comte de Borchère se retournait vers Marius — il est plus brillant.

— Et chez les Parisiens plus poli, avec des arêtes plus coupantes, riposta Stockton.

— C’est pour cela que nous aimons tant nous trouver avec des Français, conclut madame Roseti en se levant et en acceptant le bras que le commandant du Gladiator lui offrait pour la mener hors de la salle à manger.

Pendant que les dames passaient au salon de conversation, où elles parleraient toilettes et chiffons, les hommes se dirigeaient vers le fumoir et le bar, celui-ci fréquenté plutôt par les joueurs.