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conversation et d’affermir ses doutes : aussi, avec sa faconde du Midi :

— Peut-être est-ce votre présence qui m’a porté bonheur.

Mais l’autre s’inclina sans mot dire et se dirigea vers la salle à manger.

Marius, un peu vexé, rentra vivement dans sa cabine, et en toilette de soirée, fit une entrée modeste dans la luxueuse salle du restaurant, où il reprit sa place à la table du capitaine et aux côtés de Ketty.

Le dîner fut exquis et la conversation animée.

Les passagers commençaient à se connaître les uns les autres, et chaque table formait comme une petite société ; naturellement à celle du capitaine se carraient, pas médiocrement fiers, les personnages les plus importants parmi les passagers.

La blonde Ketty était tout heureuse des attentions dont elle était l’objet, et, sans le dire et sans le laisser voir, elle en reportait toute la reconnaissance sur Marius, qui grandissait à ses yeux de tout le prestige d’un envoyé gouvernemental.

Du reste, en plus de son intelligence très réelle, l’éducation première de la Piccallily Girl n’avait pas été négligée, et elle était très capable de tenir sa partie dans une conversation mondaine.

Le capitaine Maugard avait à sa gauche madame Roseti, de Buenos-Ayres : brune avec des yeux de feu, elle incarnait le type d’une beauté féminine absolument opposé à celui de Ketty.

Tout d’abord, madame Roseti avait regardé celle-ci d’un mauvais œil ! Dame, une rivale et si étrangement jolie !

Allait-elle être obligée de partager avec cette jeune fille la royauté impérieuse qu’elle avait l’habitude d’exercer partout où elle se trouvait ?

Elle fut bientôt rassurée. Loin de songer à lui ravir les hommages d’une cour empressée, Ketty s’attachait à ne donner aucun sujet de jalousie à Marius, et elle n’était coquette qu’avec lui. Elle se contentait donc d’être charmante, uniquement, et son teint de blonde, sa finesse de traits faisaient admirablement ressortir par contraste l’impériale splendeur de la belle Argentine.

Ketty s’habillait avec une grâce enjouée où perçait quelque chose de personnel et d’artiste, mais elle ne pouvait lutter avec les toilettes « up to date » et surtout les diamants et les perles de madame Roseti. Celle-ci s’était, puisqu’elle n’avait à redouter aucune rivalité de sa part, prise d’amitié pour la petite « Girl » et l’avait prise sous sa protection.

Le capitaine Maugard, en fin Bordelais, distillait de l’amabilité — il faut toujours qu’un Bordelais distille quelque chose — et trônait au milieu des deux « belles » du bord.

À la table du capitaine, vis-à-vis de lui, une aimable vieille, madame d’Espartoso, qui voyageait seule, et qui allait retrouver à Rio son fils, consul d’Espagne, avait à sa droite monsieur Roseti et à sa gauche le comte de Borchère, et les tenait sous le charme de sa conversation vive et spirituelle.

Faisant face à Marius, le personnage énigmatique qui répondait au nom de Edgar Stockton.

Répondait-il ? Fort peu. Il était impossible d’être mieux élevé, mais aussi plus calme et plus silencieusement correct.

Aux petits soins auprès de sa voisine, madame Roseti, il ne desserrait les dents que pour manger ou pour lancer au milieu de la conversation quelques aphorismes, ou plutôt quelques