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nes. Je vais moi-même donner des ordres aux domestiques chargés des cabines de ces passagers et une surveillance toute particulière sera exercée.

— De mon côté, dit Marius, je vais, sans attirer l’attention, me mêler au groupe des joueurs de whist, et surtout de poker — tout voleur est joueur — et comme il y a déjà des parties d’organisées dans le café, je crois avoir de grandes chances de trouver là notre homme.

— En tous cas, messieurs, la discrétion la plus absolue.

— Comptez sur nous.

Après s’être serré la main, ils se séparèrent, chacun tirant de son côté vers le poste de surveillance qu’il s’était assigné.

Marius se rendit tout d’abord au salon. La jolie Ketty s’y trouvait, il y avait déjà autour d’elle et de quelques autres dames, toute une cour assidue.

Mais cinq heures sonnant, une à une toutes les dames se retirèrent dans leurs cabines pour s’habiller : on dînait à sept heures et deux heures pour le moins étaient nécessaires pour cette grave et unique distraction.

Il est en effet inouï de voir le luxe déployé à bord des grands transatlantiques : dès six heures et demie, toutes les femmes sont en toilette de soirée, tous les hommes en smoking, beaucoup en habit.

Les compagnies, en augmentant le confort des installations, ont excité l’émulation chez les passagers, et il n’est pas rare de voir « les jolies perruches », comme les appelait le capitaine Maugard, porter avec les plus jolies toilettes confectionnées rue de la Paix, pour des centaines de mille francs de bijoux sur elles.

Quelle proie pour les voleurs !

Les malles des cabines ne permettant pas l’emmagasinage de robes nombreuses, il a fallu installer sur les navires des cales spéciales pour les bagages.

Alors qu’autrefois les passagers se contentaient des vêtements strictement nécessaires, et contenus dans les valises ou sacs de voyage, c’est maintenant le perpétuel va-et-vient des femmes de chambre au service des voyageuses qui vont dans la cale spéciale retirer des malles, étiquetées et numérotées, les robes précieuses et les corsages tumultueux !

Chaque voyageur peut aller puiser dans cette réserve le linge, les habits qui lui sont utiles pour les réunions du bord.

Généralement, ce sont surtout les femmes qui usent de cette faculté ; cependant Marius lui aussi descendait fréquemment à la « cale spéciale », demandait l’une de ses deux malles, l’ouvrait, y renfermait deux ou trois volumes et en reprenait d’autres.

Chaque fois, le préposé aux bagages faisait la grimace ! La malle d’où Marius tirait ces livres pesait en effet près de cent kilogs ! C’était toute une bibliothèque appropriée à son nouveau méfier qu’il avait emportée avec lui ; là voisinaient avec les meilleurs romans de Gaboriau, toutes les œuvres de Conan Doyle, de Leblond et de bien d’autres encore, qui fournissaient désormais les lectures ordinaires de l’envoyé du gouvernement français !

Aussi celui-il était-il documenté !

Ce jour-là, avant de passer aux tables de jeu, après avoir reconduit mystérieusement Ketty jusqu’à la porte de sa cabine et l’avoir saluée plus respectueusement encore que de coutume, il descendit à la cale des bagages, en tira de sa malle un volume intitulé « Rats et Souris d’Hôtels ». Il était convaincu, en effet, que le voleur opérerait de la façon commune à cette ca-