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sément à mon fiancé que l’heure du déjeuner tardait à sonner.

— En ce cas, vous êtes servis à souhait, car voilà la cloche du déjeuner qui se fait entendre.

Et le galant capitaine offrit son bras à Ketty pour la conduire à la salle à manger. Il la fit asseoir à sa droite, tandis que Marius se plaçait de l’autre côté.

Vaucaire avait admirablement fait les choses : par dépêche envoyée du ministère, il avait chaudement recommandé son ami au capitaine Maugard, commandant le Gladiateur et celui-ci avait immédiatement fait préparer des cabines de luxe, et y avait fait conduire, dès leur arrivée sur le bateau, le « chargé de mission du Ministère de l’Intérieur » et sa fiancée.

Ketty ne s’était jamais trouvée à pareille fête. Elle qui, dans ses précédents voyages, avait voyagé tout au plus en seconde, dans la promiscuité souvent gênante des autres artistes de la tournée, elle ne se sentait pas de joie !

Quel chic de voyager, quand on est du gouvernement, s’écriait-elle, à tout propos.

Marius, alors, la faisait taire.

Le déjeuner se passa admirablement, Les plats étaient abondants et variés, les vins choisis.

Les passagers invités à la table d’honneur, celle présidée par le capitaine étaient pour la plupart des Américains du sud. Leurs figures étaient sympathiques. Marius, bien qu’on les lui eut présentés, ne parvenait pas à se rappeler leurs noms aux consonnances bizarres, pour son oreille inexercée.

Cela lui fit songer à consulter la liste des passagers.

Tous les noms inscrits semblaient appartenir à des citoyens des Républiques Argentine et Brésilienne, à des Français et des Anglais. Seul un nom indiquait que son possesseur était un Américain du Nord.

« Edgar Stockton esq. » New-York, ainsi en était libellé l’orthographe.

Marius se souvint que ce devait être le nom d’un gentleman « en bois » qu’on lui avait présenté au déjeuner.

Il lui sembla bien que la figure de cet « Edgar Stockton » lui rappelait vaguement une physionomie déjà entrevue, mais, où ?

Au moment où il reposait le livre des passagers sur la table du fumoir, il aperçut le personnage, en levant les yeux, dont le nom ne lui disait rien qui vaille, qui le regardait en souriant, pour autant qu’on pouvait appeler sourire la grimace contrainte de ce visage fermé, aux lèvres minces, au regard inconsistant.

Machinalement, Marius salua d’un signe de tête poli, mais froid. L’autre lui rendit son salut et sortit du fumoir.

— Je ne sais pas si je le connais, mais ce bougre-là a une figure qui m’agace !

— Monsieur Boulard ?

— C’est moi, que voulez-vous à Monsieur Boulard ? demanda-t-il au marin qui l’interpellait.

— Le capitaine vous prie de vouloir bien venir le trouver dans sa cabine.

— Tiens ! qu’est-ce qu’il peut me vouloir ?

Et Marius se dirigea vers le logis de l’officier.

— Té, mon cher capitaine, vous m’avez fait demander ?

— Oui, mon cher Monsieur Boulard. Asseyez-vous, je vous en prie. Croyez bien que je n’aurais pas pris sur moi de vous déranger sans une raison grave.

Et le capitaine avançant un siège à Marius, le fit asseoir, puis, après avoir