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le jeune homme, qui n’était autre que Marius, mais un Marius aux cheveux courts, à la figure glabre, sauf une petite moustache taillée à la française, vêtu comme une gravure de tailleur anglais, méconnaissable en un mot !

— Alors, tu ne veux pas déjeuner à la même table que moi ?

— Quoi donc ! Non, Marius, c’est toi ?

— Moi-même. Que dis-tu de la métamorphose ?

— Elle est complète et je te fais mon compliment. Tu es cent fois mieux.

— Et puis on me remarque moins, n’est-ce pas ?

— Je t’assure que je ne te reconnaissais pas.

— Je veux faire honneur au gouvernement.

— Tu es l’idéal du fonctionnaire ! As-tu commandé ?

— Non, je t’attendais.

— Eh bien, demande n’importe quoi, des œufs, un beefsteack et des fruits. Sans que tu t’en doutes, nous sommes pressés.

— Ah ?

— Oui, d’abord j’ai eu soin de faire marcher monsieur Lacombe, ton paiement est ordonnancé et tu peux toucher dans la journée, puis…

— Puis ?

— Mon oncle à une autre mission à te donner, mais cette dernière, sérieuse et délicate.

— Laquelle ?

— Il te la dira lui-même, mais cela va nécessiter ton départ cette semaine ou au plus tard la semaine prochaine pour Brownsville.

— Je puis partir quand il le faudra ; cependant…

— Cependant quoi ?

— Je préférerais peut-être partir tout de suite.

— Tu feras pour le mieux. Garçon, un peu vite, n’est-ce pas.

Le déjeuner s’acheva gaiement et rapidement.

Marius crut bien faire de ne pas parler de l’histoire de sa montre et surtout de Ketty. Il devenait peu à peu un véritable homme d’État. Il était discret.

À deux heures, tous deux gravissaient l’escalier du ministère et pénétraient dans le cabinet du ministre.

Celui-ci accueillit son neveu avec son habituelle affection, mais il considéra Marius avec étonnement.

— Tu ne reconnais pas Boulard ? lui dit Vaucaire en riant.

— Vraiment, j’ai hésité. C’est tout à fait extraordinaire. Alors, aujourd’hui c’est votre figure véritable ?

— Oui, monsieur le ministre.

— Et vous pourriez au besoin vous faire la tête que vous aviez hier ?

— Et bien d’autres encore, mon oncle.

— C’est inouï, Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Écoutez-moi bien, Monsieur Boulard, je vais vous confier un secret d’État, et en dehors de la mission de police pour laquelle vous allez être accrédité officiellement, je vais vous en donner une autre plus importante : Nous croyons que les États-Unis sont sur le point d’intervenir au Mexique. Notre intérêt est d’être prévenus immédiatement, au cas — très probable — où cette intervention se produirait. Puisque vous commencez votre tournée d’étude par Brownsville, vous vous présenterez là-bas à la banque G. B. Weld. Le chef de celle-ci est un de mes amis personnels. Voici du reste un mot vous présentant à lui, et une lettre de crédit de 2 mille dollars sur sa banque au cas où vous