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— Elle avait beaucoup de talent ?

— Je vous dirai tantôt si elle en avait plus que vous.

— Comment tout à l’heure ?

— Après le spectacle, si vous le voulez bien.

— Non, monsieur, les sœurs Piccallily n’écoutent pas les histoires d’un monsieur quand leur numéro « a passé ». Elles sont honnêtes, les sœurs Piccallily.

— Mais en tout bien tout honneur.

— Il ne manquerait plus que ça.

— Je vous reconduirai jusqu’à la porte de votre hôtel.

— Non, monsieur.

— Ça me ferait tant plaisir.

— Eh bien, à une condition, vous me donnerez une mèche de vos cheveux dans un médaillon et vous savez, gare à vous si vous ne me portez pas chance et si je ne fais pas aujourd’hui la connaissance de mon futur mari.

Après une conversation aussi engageante, Marius n’avait rien de mieux à faire que d’ailler applaudir au café-concert « The Mirror » et les danses des sœurs Piccallily.

Après avoir longtemps consulté le plan du théâtre, il prit une place et s’installa aussi près qu’il put de l’orchestre.

Le fauteuil à sa gauche était occupé par un jeune homme élégant, en toilette de soirée, la boutonnière fleurie, d’un commerce aimable et d’abord facile. Il entama, sous le premier prétexte venu, une conversation suivie avec Marius. À la droite de celui-ci, se trouvait un spectateur d’aspect correct, l’air gourmé cependant, ne souriant ni aux lazzi des acteurs, ni aux œillades des Piccallily Girls, cependant engageantes et prometteuses, oh combien !

Avant la fin du numéro, le jeune snob se leva, gratifia Marius d’une vigoureuse poignée de main et se dirigea rapidement vers la sortie.

Le voisin de droite, gourmé et solennel, lui emboîta immédiatement le pas.

Et comme Marius continuait à regarder de tous ses yeux la cinquième Piccallily — elle était décidément bien jolie — il sentit une main le toucher légèrement à l’épaule.

— Pardon, monsieur, voulez-vous me suivre, le commissaire de service désire vous parler.

C’était un inspecteur du contrôle qui l’interpellait.

Marius se leva, vaguement inquiet, et suivit son interlocuteur. Celui-ci le conduisit à un bureau minuscule situé près des loges des artistes et s’effaça pour laisser passer l’ex-voisin de droite de l’artiste, qui s’en alla, toujours impassible et gourmé, du côté de la sortie.

Le commissaire de police fit asseoir Marius et lui dit à brûle-pourpoint :

— On vient de vous voler votre montre, monsieur.

— Ma montre ! s’exclama celui-ci, en portant la main à son gousset.

Et en effet, celui-ci était vide, et sa chaîne, coupée, pendait lamentablement sur son gilet !

— Ne vous tourmentez pas, la voici !

Et le commissaire, bon enfant (depuis Courteline, ils le sont tous), lui tendait son chronomètre de famille !

— Eh bé ! celle-là est forte. Apprendre qu’on est volé au moment où on ne l’est plus !