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son métier de peintre, ne pouvaient convenir au fonctionnaire important qu’il allait être. Il lui fallait le col droit, la redingote impeccable, le chapeau à huit reflets, ou tout au moins le complet de nuance indécise et le melon.

Il n’hésita pas. Un grand magasin de confections pour hommes s’offrait à ses regards de l’autre côté du boulevard, il traversa, entra et se commanda un trousseau en rapport avec sa mission.

Ses habitudes d’économie l’empêchèrent de faire des folies, mais il fit largement les choses. Il donna son adresse : « Hôtel Bergère » et convint de venir le lendemain vers dix heures essayer ses nouveaux vêtements. Quelques retouches indispensables étaient à y faire.

Le sort en était jeté, le lendemain l’artiste allait faire place au policier homme du monde : le rasoir et les ciseaux d’un moderne Figaro complèteraient la métamorphose.

Ses longs cheveux ! Marius songea le cœur gros à leur sacrifice nécessaire. Là-bas, à Carcassonne, lorsqu’il passait dans la rue, il n’était pas médiocrement fier de cet ornement capillaire.

— Té, voilà un artiste ! entendait-il dire autour de lui.

Il lui fallait dépouiller le vieil homme. Pour en finir plus vite, il chercha un coiffeur, à la façon dont on s’enquiert d’un dentiste… il hésita, lorsqu’il se trouva, brusquement, devant une porte sur laquelle se lisait : « Coupe de cheveux ». Ces quelques mots lui produisirent un effet singulier. Sa décision « flancha ». Au fait, il pouvait un soir encore être lui-même. Pourquoi ne s’accorderait-il pas ce répit ?

Il avait encore quelques heures à vivre en artiste, il allait les employer en peintre, en rapin même ; aussi résolut-il illico d’aller passer sa soirée à Montmartre, dans un de ces endroits catalogués « lieu de plaisir ».

Mais où aller ?

Les colonnes Morris étaient là pour le renseigner. Il s’arrêta auprès de l’une d’elles et en fit négligemment le tour.

L’Opéra donnait Faust, l’Opéra-Comique Carmen, la Comédie Française affichait Le Misanthrope.

On a beau venir de Carcassonne, de pareils spectacles n’ont pas l’attrait d’une nouveauté transcendante.

Tout d’un coup, Marius s’arrêta médusé.

Un grand placard en couleurs venait d’attirer son attention.

Il annonçait en lettres énormes :

Ce soir
ALCAZAR D’ÉTÉ
THE MIRROR
par les « Piccallily Girls »

Et l’on voyait une dizaine d’affriolantes petites Anglaises levant la jambe d’un geste identique, pareillement habillées d’une jupe rose froufroutante et d’un corsage également décolleté dans un vague décor vert pomme.

Les « Piccallily Girls » positivement, Marius n’en revenait pas.

Pour une rencontre, c’en était une.

L’autre hiver, à Carcassonne, il s’était épris de la cinquième « Piccallily », mais timide de nature, il n’avait osé avouer sa flamme. Il s’était contenté de lui envoyer des bouquets, des boîtes de bonbons, un tableau qu’il avait signé le plus minutieusement du monde, après l’avoir orné d’une belle dédicace.