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et cœtera… Moi, quand je suis parti, on ne me retient pas !

— C’était envoyé !

— Et malin, car je donnais beau jeu à Aubanès pour m’attaquer, je lui préparais le terrain où je voulais l’amener. Je suis un vieux finaud, moi. Les interpellations, petit, ça me connaît ! J’avais mes réponses prêtes.

— Tu étais donc averti de ce qu’il allait dire ? C’était combiné !

— Non, mais entre gens du Midi, on se connaît tellement bien qu’on prévoit la riposte, avant que l’attaque soit faite ! Donc, aussitôt Vaugoyer aplati, au milieu des applaudissements qui couvraient ma péroraison, Aubanès monte à la tribune.

— C’était l’ennemi sérieux.

— D’autant que dans le prochain ministère, c’est lui qui me remplacera. Il commence, rappelle rapidement les choses déjà dites et portant la question plus haut, établit que si les crimes augmentent, c’est que la répression est insuffisante. À notre époque, dit-il, la peine de mort n’existe pour ainsi dire plus, et du reste pour beaucoup la guillotine est un piédestal. Quant au bagne c’est une villégiature enviée, et le voilà qui nous fait un tableau de la vie des forçats, à donner envie de l’être !

— Je ne sais pas, je n’y ai pas encore été !

— Moi non plus. Il paraît que là-bas, aux îles du Salut, la vie est vraiment charmante. Les bandits sont plus heureux à Cayenne que les ouvriers agricoles ou les ouvriers manœuvres de nos corps d’État ! Ils sont parqués (tu sais qu’il avait en mains des documents irrécusables), dans des bagnes où personne ne travaille ; ils sont nourris, habillés, chaussés et perçoivent journellement du café, du vin et du tabac : leurs occupations sont dérisoires ; leur liberté est inconcevable. Ils portent eux-mêmes leurs lettres à la poste et en reçoivent directement poste-restante, ou par l’entremise de libérés, et c’est ainsi qu’ils renseignent sur leur mode d’existence leurs camarades ; ceux-ci ne sont nullement effrayés par la perspective d’un séjour au bagne quand ils ont lu les lettres de « là-bas » et certes, les condamnés de basse condition sont plus heureux dans un pénitencier qu’ils ne l’étaient dans les villes où ils se livraient aux exploits qui leur ont valu d’être expédiés à Cayenne.

— C’est gai ! Ah, mon oncle !

— Cela ne l’était pas pour moi, en tous cas : cet animal d’Aubanès retournait, petit à petit, la Chambre, et dame, s’il s’était tenu dans cet ordre d’idées, cela pouvait mal finir. Heureusement, il a donné en exemple, à la police française, les polices étrangères. Il a exalté les pénitenciers américains, les prisons anglaises, les prisons cellulaires, les châtiments corporels ! C’est là où je l’attendais.

— Tu l’avais belle. Eh oui !

— Aussi, quand il a eu fini, ai-je négligé de répondre à toute la partie sensée de son discours, et suis-je tombé à bras raccourcis sur les modèles qu’il proposait. On nous donne des exemples à suivre, et où va-t-on les chercher, ai-je dit. Est-ce en Angleterre où nous avons vu, l’an dernier, la police obligée de se ruer, de démolir une maison de Sidney Street, qui servait de refuge à des anarchistes, pour l’assassinat de trois agents au cours d’une affaire de « perceurs de murailles ». Et à ce propos, on a reproché, tout à l’heure, à notre honorable préfet de police, d’avoir dirigé en personne l’attaque du hangar où s’était réfugié le sinistre chef de la triste bande Bonnot ; reprochez-vous au ministre de l’intérieur anglais d’avoir assisté