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— Voici d’abord comment et pourquoi j’ai arrêté l’homme qui va comparaître devant vous : cet individu est le chef d’une bande internationale de voleurs…

— Vous le connaissez ?

— Depuis deux ans je cherchais à l’arrêter en flagrant délit sans pouvoir arriver à mon but. À chacune de mes rencontres avec lui, il m’a glissé comme une anguille entre les doigts. Il écume les tripots, les trains de luxe, les grands paquebots, souvent accompagné de complices, parfois seul.

— Et aujourd’hui ?

— Il est arrivé à Brownsville, certainement pour tenter un coup contre la banque Weld, du moins d’après ses dires.

— Contre la banque ?

— Pour vous mettre au courant, il faut que je reprenne les choses d’un peu haut, mais, soyez tranquille, nous ne perdons pas notre temps.

— Faites à votre gré.

— Eh bien, sur le paquebot qui nous a amenés à Brownsville, monsieur Boulard et moi… à ce propos, je commence à être inquiet de l’absence de mon ami.

— Voulez-vous que nous le fassions chercher ?

— Attendons encore quelques minutes, il est impossible qu’il tarde bien longtemps. Donc, sur le paquebot « Le Gladiateur » ce roi des filous, protée aux cent noms et aux cent visages, se faisait appeler le comte de Borchère. Il se nomme en réalité, Pierre Martin. Il essaya d’abord de dévaliser monsieur Boulard. Par un hasard providentiel, celui-ci n’avait sur lui que fort peu d’argent ; l’escroc se rabattit donc sur sa malle, dont il avait subtilisé la clef, et ce fut là qu’il prit une lettre de crédit de dix mille francs créée sur la banque Weld. Puis il vola à d’autres passagers un collier de diamants, heureusement en imitation, et disparut à l’escale de Lisbonne. Je me demandais pourquoi il avait volé cette lettre de crédit. Il devait bien savoir que le télégraphe aidant, la banque, prévenue, le ferait arrêter s’il se présentait à ses guichets. Je crois maintenant être fixé. C’est par accident, peut-être pour ne pas perdre son temps, que notre homme exerça son industrie sur le « Gladiateur », et il avait affaire à Brownsville où il était appelé par des complices ou des indicateurs. S’il a volé cette lettre de crédit — inutile butin — c’est que le nom de la banque l’avait frappé, et qu’à tout hasard, il a pensé qu’elle pourrait lui servir à un moment donné.

— Il aurait pu chercher à emprunter dessus, demain dimanche, alléguant que la banque était fermée. Ce cas s’est déjà présenté, et des hôteliers trop confiants ont été refaits grâce à ce coup classique, interrompit Obrig.

— Arrivé à Brownsville par terre, par le chemin de fer pris à New-York, ou ailleurs, il nous précéda de quelques jours, deux ou trois au plus, et ce qui prouve que c’était cette banque qu’il visait, c’est que depuis son arrivée, il était le client assidu du Carlton, où il dînait tous les soirs.

— Pourquoi avait-il choisi le Carlton ?

— Parce que Jeffries y est maître d’hôtel.

— Jeffries serait donc complice ?

— Je ne crois pas. Complice involontaire par les renseignements qu’il donnait ingénûment, peut-être, et voilà tout. En tous cas, vous qui habitez Brownsville, vous savez qu’un étranger peut s’égarer une fois avant onze heures ou minuit au Carlton, mais qu’il est extraordinaire qu’on y aille