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— Kiss, Kiss, ragea Marius.

— Et surtout au commencement d’un dîner.

— Au commencement… mais j’espère bien que nous arrivons au dessert, dit — en riant sous cape — Stockton qui avait constaté avec surprise l’appétit de mistress Trubblett. Nous avons vu défier devant nous un véritable repas de Gargantua, et pour ma part, j’y ai fait honneur.

— Mais je vois sur le menu que nous avons encore des fruits, des ananas, des glaces, avant le café et les liqueurs…

— Rassurez-vous, chère mistress Trubblett, il n’est pas encore neuf heures et demie et nous avons le temps de goûter à toutes ces bonnes choses.

— Ce pauvre Jarvis est mort !… Je n’en reviens pas.

— Je ne dirai pas que cela vous coupe l’appétit, railla Marius.

— Vous le connaissiez ? demanda Stockton.

— Comme je vous le disais tout à l’heure, je l’ai beaucoup connu autrefois, il avait quarante ans alors, et moi j’en avais vingt-cinq à peu près. Hélas !

— Mais quel âge avait donc actuellement Jarvis ?

— Cinquante-sept ans, je crois.

— Maman, tu viens de te trahir…

— Qu’est-ce que j’ai dit ?

— Tu viens de nous avouer que tu avais vingt-cinq ans lorsque le pauvre garçon en avait quarante. Or, s’il y a dix-sept ans de cela… ajouta malicieusement Ketty.

— J’ai dit vingt-cinq, je me suis trompée, c’est vingt ans que je voulais dire, puisque maintenant j’ai trente-six ans. Oh ! je ne me rajeunis pas !

— Au contraire

— Vous dites, monsieur Boulard ?

— Je dis, chère madame, qu’on n’a que l’âge qu’on paraît, et que vous pourriez vous dire la sœur aînée de votre fille.

— La sœur jumelle, surenchérit Sullivan.

— La sœur cadette, conclut le Mexicain, qui petit à petit se rapprochait de la table et prenait de plus en plus part à la conversation.

— Vous êtes vraiment trop flatteurs, tous, remercia la blonde mistress Trubblett, car blonde elle l’était plus que jamais !

— Alors, vous avez beaucoup connu Jarvis à cette époque, repartit Stockton qui reprenait sans en avoir l’air la conduite de la conversation.

— Beaucoup. Dame, il faisait partie du monde où l’on s’amuse et, il y a dix-sept ans, à Brownsville, ce monde-là était beaucoup plus restreint que maintenant. Quel beau joueur c’était.

— Tiens, tiens, dit Sullivan, il était joueur ?

— Je l’ai vu, dans une seule soirée perdre et regagner une véritable fortune, et cela sans qu’il y parut seulement sur sa figure.

— Vraiment ?

— C’était peu de temps après que la loi américaine, sur les jeux, avait fait se fermer, les uns après les autres, les cercles, pour ainsi dire officiels, où l’on jouait. Ils avaient naturellement été remplacés par d’autres, clandestins, et dans plusieurs de ceux-ci, les femmes étaient admises !

— Tu as été joueuse, maman ?

— Comme les cartes, mon enfant.