Page:Cromarty - K.Z.W.R.13, 1915.djvu/168

Cette page a été validée par deux contributeurs.

si l’une d’entre nous était sur le point d’oublier qu’une Anglaise doit, surtout à l’étranger, conserver une parfaite respectabilité, il me suffisait de la menacer d’écrire à Manchester une lettre dénonçant sa conduite « improper » pour la faire rentrer dans le rang !

— Alors, défense de flirter.

— Oh non ! Le flirt est permis. Tant qu’on s’en tient aux œillades, aux sourires, cela va. Je permettais d’accepter les hommages, les cadeaux.

— Des cadeaux aussi ?

— Ne vous moquez pas, je vous jure qu’on n’accordait que le droit de faire des cadeaux.

— C’est déjà quelque chose.

— Je vous jure que c’était tout !

— Défense d’entrer dans la propriété privée ?

— Voulez-vous bien vous taire.

— Défense absolue ?

— Je vous l’affirme, nous étions sérieuses… Oui, oui, c’est ainsi. Le « Business », mon cher, avant tout.

— Le « Business » ?

— Mais oui, comment dites-vous en France… le travail… la situation si vous aimez mieux. De mon temps, il n’était pas rare qu’un gentleman, très bien… très « calé » dans ses affaires comme on dit chez vous, épousât une « Dancing girl ». Ce n’était pas pour eux un déshonneur, loin de là ! J’en ai connu deux ou trois, Evelyn Claire Wyckman et Evie. Patrick Campbell et la petite Gertie Mackay, qui ont épousé des baronnets ou des ducs d’Angleterre. Nombreuses sont celles qui sont devenues pairesses. Ici, chez nous en Amérique, ma bonne amie Doris Littleton est devenue la reine du papier mâché. Oui, oui, je me fais mal comprendre, son mari Eric Mathurin possède, à lui seul, toutes les fabriques de rails, de roues, de pipes, tout ce qui se fait en papier comprimé.

— Ah, diable !

— Et elle n’en est pas plus fière que ça, vous savez ! Du reste Eric Mathurin, il doit marcher au doigt et à l’œil. C’est du reste un conseil que je donnerai à Ketty, les hommes ont été créés pour obéir aux femmes !

— Oh, madame !

— Vous ne me donnez pas raison ?

— Si, si, se hâta de convenir Marius, sur un regard de Ketty.

— Je vous assure, monsieur, que pas une girl de mon époque n’aurait en aucun cas négligé de prendre l’avis de sa mère pour tout ce qui avait trait à un engagement et au reste.

— C’est pour moi que tu dis cela, maman ?

— Grand Dieu, non — je reprendrai volontiers de ces excellentes truffes au vin de Champagne, merci. — Dieu m’est témoin que je ne te fais aucun reproche. Tu as rencontré monsieur Boulard, il t’a plu…

— Certainement.

— Drôle de goût ! Enfin s’il t’épouse…

— Mais c’est entendu, maman.

— Ne mettez pas mes intentions en doute, madame.

— Si vous vous mariez, comme je l’espère, je vous souhaiterai tout le bonheur possible. — Ce pâté de poularde est exquis, je vous serais obligée de me donner un soupçon de blanc, merci… — Mais je doute que tu sois heureuse.

— Mais pourquoi, madame ?

— Épouser un Français, pour une « girl », c’est danser sur un volcan !

— Un volcan en ébullition, objecta Marius.