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Au moment où Stockton arriva auprès de ses amis, madame Trubblett était en train d’exiger un déménagement. Elle prétendait en effet que la table choisie par Marius était abominablement placée. Elle avait jeté son dévolu sur une autre — voisine de celle où mangeait Borchère — mais comme cette nouvelle table était de huit couverts, il fallait opérer un changement complet.

Ceci donna de l’occupation aux garçons, commandés par le toujours lugubre Jeffries !

Au moment où tous les préparatifs étaient enfin terminés, comme ces dames passaient pour prendre place devant la table du Mexicain, celui-ci se leva, salua le plus galamment du monde et se rassit.

Madame Trubblett, au grand étonnement de tous, lui adressa un gracieux sourire.

Ketty n’était pas la moins surprise.

— Tu connais ce monsieur, maman ? lui demanda-t-elle à voix basse.

— À proprement parler, je ne le connais pas, mais hier je m’étais arrêtée dans Laredostreet, tiens, un peu au-dessus de la banque Weld, quand j’aperçus cet étranger qui parlait avec le banquier…

— Il parlait avec le banquier Georges Weld, ne put s’empêcher de dire Marius.

— Mais oui : qu’y a-t-il d’étonnant à cela ?

— Vous en êtes sûre ?

— Absolument sûre. Je connais bien monsieur Weld, je connaissais encore mieux son père, mais cela c’était il y a vingt ans, hélas !

— Et alors pour en revenir à notre voisin, interrompit Stockton, que l’histoire — on le pense bien — intéressait vivement.

— Alors, ce gentleman, en quittant monsieur Weld, fit quelques pas et comme il passait près de moi, me heurta bien involontairement ; dans le choc, mon sac à main m’échappa et comme je me baissais pour le ramasser, il se précipita, me le rendit en accompagnant cette restitution de gracieusetés qui me rendirent toute confuse.

— Ma chère ! lâcha Marius.

— Vous dites ?

— Je dis, ma chère Ketty, voulez-vous encore un peu de ce potage ? Il est exquis.

— Merci, mon ami, je viens de jeter un coup d’œil sur le menu, et je me réserve : il y a des plats dont je raffole.

— Je suis heureux d’avoir été si bien inspiré.

— Et à quelle heure avez-vous fait cette rencontre ? Vers trois heures, sans doute ? continua Stockton.

— Un peu avant. Mais comment le savez-vous ?

— Je passais par Laredostreet, et je vous avais remarquée : c’est obligatoire quand on vous rencontre, ajouta-t-il galamment.

— Maintenant on me remarque encore, mais autrefois on s’arrêtait…

— Maman…

— Laisse donc, ma fille ! Je n’ai plus de prétentions, quoique je ne sois pas tout à fait vieille encore… trente-six ans, hélas… car j’ai eu Ketty quand j’avais seize ans à peine !

— Un été splendide…

— Ah ! si vous m’aviez connue lors de mon printemps, quand je débarquai à Paris, arrivant à quatorze ans de Manchester…

— Vous êtes née à Manchester ?

— Non, je suis née à Preston, mais