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ture des vins, des liqueurs qu’on pouvait demander, et le nombre en était majestueux, comme l’établissement. Le tout imprimé sur un papier glacé en lettres d’or… toujours !

Marius, prenant ses aises, ôta d’abord son pardessus, après avoir retiré des poches ses gants et son mouchoir et s’être assuré que celles-ci ne contenaient plus rien — le voisinage de Borchère le rendait prudent — il le tendit avec son chapeau à Jeffries.

— Portez cela au vestiaire, je vous prie, pendant que je consulte la carte.

Le désolé Jeffries, toujours digne, appuya sur un bouton de sonnette électrique, remit les effets au chasseur qui était accouru et revint, attendant les ordres.

Marius s’assit à la table choisie, ouvrit le livret et s’absorba dans la lecture des plats recommandés à la date du jour.

Jeffries, un papier et un crayon à la main, attendait, solennel, tout en poussant, de temps à autre, un profond soupir.

Marius dicta :

Orlys aux huîtres
Potages : à l’ivoire et mexicain
Darne de saumon au beurre de Laredo
Côtelettes de mouton, Tour d’Argent.

— C’est bon, cela, les côtelettes à la Tour d’Argent ?

— Exquis, monsieur.

— Quel goût a la sauce ?

— Excellent, monsieur. C’est comme si on mangeait du mauvais chevreuil.

— Ah ! Alors supprimez les côtelettes de mouton et remplacez-les par des « côtelettes de perdreau au jambon cuit, au vin de Madère.

— Bien, monsieur.

— Puis des quenelles de lapereaux à la Washington et du coq de bruyère à la Georges III. C’est de la conciliation ou je ne m’y connais pas.

— Monsieur m’a dit ? Après Georges III.

— Rien, c’est une paillette.

— Paillette ? C’est sur la carte ?

— Non, répondit le Méridional en s’esclaffant. Alors nous terminerons par une poularde truffée aux foies de volaille, servie avec de l’igname du Japon et une salade de chicorée et de tomates.

— Parfait, monsieur. Pour quelle heure ?

— Comment pour quelle heure, mais tout de suite.

— Mais, monsieur, tous les plats que demande monsieur ne seront prêts qu’après minuit.

— Alors, pourquoi les appelez-vous plats du jour, si vous ne les servez que le lendemain ?

— Mais, monsieur, la carte est datée de demain. Que monsieur regarde.

— Mais, sapristi, qu’est-ce que nous allons manger ?

— Je me permettrai de conseiller à monsieur de prendre un des deux dîners tout composés que monsieur trouvera à la page suivante.

— Voyons… Hein ?

Et Marius lut avec stupéfaction :

Menu à 5 dollars
Dîner offert à LL. MM. le Roi, la Reine et la famille royale
d’Espagne le 24 juillet 1849
par la Ville de Madrid.

— Que monsieur ne s’étonne pas. Notre chef a eu l’idée de rééditer chaque jour un menu offert à une tête couronnée par une ville ou une association pendant le siècle dernier. Vous