Page:Cromarty - K.Z.W.R.13, 1915.djvu/154

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Marius, en désespoir de cause, allait s’adresser à un autre garçon, quand le Mexicain, après un second sourire, lui désigna, près de la cheminée, un immense fauteuil Louis XIV dont lui, Marius, ne pouvait, de sa place, voir que l’envers du dossier.

Il fit le tour du fauteuil — tel le comte Almaviva à la recherche de Chérubin — et découvrit dans ses profondeurs un personnage en habit, la tête enfouie dans les mains, les yeux fermés et paraissant se soucier comme de Colin Tampon du restaurant et des éventuels clients

Avant de le déranger dans sa méditation, Boulard renvoya au dîneur un des sourires que celui-ci lui avait si généreusement octroyés et s’inclinant :

— Mille fois merci, lui dit-il.

— Il n’y a pas de quoi, vraiment, monsieur, répondit celui-ci.

— Je vous demande pardon, j’étais fort embarrassé, ne sachant à qui m’adresser.

— Trop heureux d’avoir pu vous tirer de peine !

Marius allait taper sur l’épaule du maître d’hôtel, quand un garçon qu’il n’avait pas vu s’approcher, lui dit :

— Monsieur Marius Boulard ?

— C’est moi.

— On demande monsieur au téléphone.

La personne paraît pressée.

— J’y vais. Veuillez me montrer le chemin.

Au moment où il entrait dans la cabine téléphonique, ou plutôt dans la pièce où se trouvaient les postes de réception, il fut tout à fait étonné de se trouver en face de Stockton.

— Vous, s’écria-t-il.

— Moi-même, mon cher ami.

— Est-ce vous qui m’avez fait demander ?

— C’est moi.

— Pourquoi ce mystère ?

— Parce que j’ai des raisons pour ne pas me montrer, tel que je suis au dîneur avec qui vous causiez si aimablement quand je suis entré dans le salon du restaurant. Heureusement, il ne m’a pas vu.

— Comment, ce consommateur si aimable ?

— Est une de mes vieilles connaissances, et une des vôtres aussi.

— Vous voulez rire, je ne l’ai jamais vu.

— Vraiment ?

— Quant à cela, j’en suis sûr.

— Ce n’est pas la reconnaissance qui vous étouffe ! Comment, voilà un homme, grâce à l’argent de qui vous vivez en grand seigneur, car c’est lui ou du moins son argent qui va payer le dîner que nous allons faire, et vous n’avez gardé aucun souvenir de ce généreux gentleman !

— Je ne comprends pas un traître mot à ce que vous dites !

— Voyons, voyons, mon cher Boulard, rappelez-vous…

— Mais quoi ?

— Le joueur à qui j’ai gagné les quelques centaines de louis que nous avons partagés…

— Borchère !

— Lui-même.

— Impossible.

— Absolument certain, au contraire !

— Mais Borchère était grand.

— Oui.

— Celui-ci est de taille moyenne.

— Sa taille véritable.

— C’est vrai, le jeu de cartes !