Page:Cromarty - K.Z.W.R.13, 1915.djvu/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’un malhonnête homme agirait comme monsieur Weld ?

— Tout cela peut n’être que « des mots » ! Attendons.

— Vous êtes difficile. Eh bien, moi, je trouve qu’il vient de nous donner la preuve de son innocence.

Stockton dévisagea son ami avec, dans l’œil, une nuance de raillerie :

— Français ! répondit-il simplement.

Pendant ce temps, Suttner avait reçu des mains de Weld sa déclaration, selon toutes les formes requises. Il la plia, la mit dans son portefeuille, et allant ouvrir la porte, appela son greffier et le chef de la police.

— Messieurs, leur dit-il, je vais commencer officiellement l’instruction. D’accord avec le prévenu, je m’autorise de mon pouvoir discrétionnaire pour faire ici même les premiers interrogatoires. Veuillez faire garder la porte de la banque et que personne ne puisse sortir sans mon ordre. Vous placerez également un policeman dans la pièce à côté de celle-ci. Il veillera à ce qu’aucun des témoins ne puisse écouter ce qui se dit dans ce bureau.

— Je vais remplir moi-même cette mission.

— Soit. Vous m’avez remis les interrogatoires d’Henderson, d’Halsinger et de Jeffries ?

— Je les ai remis à votre greffier.

— Bien. Weld, continua Suttner, je vais, si vous le voulez bien, m’asseoir à votre bureau. Je désire que la lumière tombe sur le visage des gens que je vais interroger, et ainsi j’aurai le dos tourné à la fenêtre. Veuillez rester où vous êtes. Je vous prie, messieurs Boulard et Stockton, de passer ici, auprès de moi, vous pourrez ainsi, au besoin, me communiquer vos impressions. Quant à vous, continua-t-il en s’adressant à son greffier, mettez-vous au bout du bureau. Tirez la tablette ; vous avez la place qu’il vous faut ?

— Parfaitement, monsieur le juge.

— Tout va bien.

Suttner s’assit et parcourut rapidement divers papiers : les rapports du chef de police et les dépositions des premiers témoins.

Weld restait plongé dans ses réflexions.

— Ne soyez pas surpris mon cher Boulard, de cette façon d’agir, commença Stockton à voix basse.

— Elle m’étonne cependant un peu, dit Marius. Ce serait absolument illégal en France, où la forme règne maîtresse de toutes choses, et je vous avoue que je suis un peu estomaqué, ou plutôt, car ma surprise est plutôt agréable, un peu étonné de voir avec quelle urbanité juge et prévenu s’entretiennent.

— En France, tout inculpé est préjugé coupable, et le juge n’a plus dès lors qu’une idée : celle de lui tendre tous les pièges, tous les traquenards possibles pour essayer de le faire s’enferrer.

— Ah ! mon cher Stockton, vous avez bien raison. Quiconque entre dans le cabinet du juge d’instruction, inculpé ou même témoin, n’est jamais sûr d’en sortir. Tous les procédés d’intimidation sont mis en œuvre et si la torture physique est abolie, nos juges font encore largement état de la torture morale. Pensez que depuis la révolution il a fallu un siècle pour arriver à établir que tout inculpé aurait le droit d’avoir à ses côtés, pendant l’instruction, l’avocat chargé de le défendre. Avant, le malheureux était livré sans défense à un homme connaissant la loi, alors que lui l’ignorait ; à un juge dont l’avancement dé-