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DÉBUTS DE L’ÉPOPÉE HÉROÏQUE : HOMÈRE

loppements admirables, mais qui pouvaient offrir et qui ont offert en effet à de moindres poètes des ressources faciles. On pourrait en signaler d’analogues dans les récits de combats, d’assauts, d’entrevues, de discussions. Dans tous les genres littéraires et en tous les temps, les inventions heureuses entrent vile dans le domaine public ; imitées par tous, elles finissent par n’appartenir à personne. Mais, dans l’épopée primitive, ce fait s’est produit peut-être plus qu’ailleurs et il y a pris plus d’importance, parce qu’en ces temps primitifs on visait moins à l’originalité.

C’est qu’en effet un des traits les plus frappants de cette poésie est son impersonnalité. Jamais le poète n’y parle de lui-même, jamais il ne se croit autorisé à émettre un jugement en son propre nom ou à nous faire part de ses sentiments. C’est la Muse qui est censée parler par sa bouche, il n’est, lui, que son interprète, et c’est là sa grandeur.

On conçoit combien, dans de telles conditions, l’œuvre de différents poètes pouvait aisément se fondre dans un même tout. Sans doute, un homme ne ressemble jamais exactement à un autre homme, et, là où plusieurs ont collaboré, chacun a dû laisser sans le vouloir quelque empreinte de sa personnalité. Mais ces empreintes, dont on se défiait soigneusement, sont aussi légères que la nature humaine le permet. La difficulté de les discerner aujourd’hui, en l’absence de toute indication accessoire, est immense. Et c’est là ce qui fait qu’il est à peu près impossible de noter avec précision les éléments divers dont se composent des poèmes tels que l’Iliade et l’Odyssée.