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CHAP. VI. — DE SEPTIME-SÉVÈRE À DIOCLÉTIEN

en a organisé les éléments, et maintenant il les dépasse, ou il croit les dépasser. Non qu’il ait la prétention d’ouvrir des voies nouvelles. Il se dit platonicien, et il interprète Platon. Mais son interprétation, portée à la fois par le rêve et par la logique, prend librement son essor, sans douter de sa légitimité. Or, c’est là ce qui fait sa force. Elle s’adresse, pleine de confiance, à toutes les habitudes de foi ancienne comme à toutes les puissances de croire non satisfaites encore ; et, chose que personne jusque là n’avait su faire, elle les entraîne, à travers les créations successives de l’hellénisme, jusqu’à quelque chose qui semble supérieur et nouveau. En cela aussi, elle répond à un besoin profond des contemporains, ou mieux à plusieurs besoins, également impérieux, quoique contradictoires. Plotin ne détruit rien : il concilie, il transforme, il fait à chaque chose sa place ; et, pourtant, sous ses conciliations, il y a une pensée qui va de l’avant, un élan qui donne le sentiment du progrès.

Mais ce qu’il apporte surtout, comme nouveauté, ce ne sont pas tant des idées que des tendances et des méthodes. D’autres avant lui, et depuis longtemps, avaient introduit le mysticisme dans la conscience grecque[1] ; il est le premier qui l’ait mis au cœur même de l’hellénisme, en le proclamant la suprême forme de la vie intellectuelle et morale.

Déjà, sans doute, Platon avait enseigné que la fin de l’homme était de se faire semblable à Dieu (ὁμοιοῦσθαι τῷ θεῷ (homoiousthai tô theô)). Cette formule, Plotin la garde, il la répète sans cesse, il en fait la loi même de l’activité humaine, mais il lui donne une tout autre portée. Car la plupart des choses qui semblaient à Platon des moyens de se mettre

  1. Dès le siècle précédent, sous Antonin et Marc-Aurèle, la théurgie chaldéenne tendait à se populariser dans le monde grec. Suidas, Ἰουλιανός Χαλδαῖος φιλόσοφος (Ioulianos Chaldaios philosophos) et Ἰουλιανός (Ioulianos), fils du précédent.