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PLOTIN

Les pensées se pressaient dans son esprit ; il ne prenait pas le temps de les exprimer. Il fallait, en le lisant, deviner ce qu’il avait voulu dire, à travers un enchevêtrement de phrases incomplètes et incorrectes. L’espèce d’enthousiasme intellectuel que provoquait en lui le travail de la pensée, loin d’atténuer ces défauts, les aggravait plutôt, en l’empêchant de s’en rendre compte[1].

Ce sont ces notes, jetées ainsi au jour le jour, sans plan préconçu, sans titres distincts, et publiées par traités isolés à partir de 253, que Porphyre, sur l’invitation de son maître, recueillit, classa, organisa de son mieux, et qu’il nous a transmises[2]. L’ouvrage ainsi constitué fut nommé par lui les Ennéades (Ἐννεάδες (Enneades)), c’est-à-dire les Neuvaines, parce qu’il avait groupé ces dissertations par séries de neuf livres. Le tout forme cinquante-quatre livres, six neuvaines. En rassemblant ces morceaux détachés, Porphyre a essayé d’y mettre quelque ordre, et lui-même nous a exposé son plan[3]. La première ennéade se rapporte principalement à la morale ; la seconde et la troisième, au monde et à la manière dont il est gouverné ; la quatrième, à l’âme ; la cinquième, à la raison ; la sixième, à certaines questions sur la nature de l’être. Dans chaque ennéade, les dissertations se suivent selon l’ordre dans lequel elles ont été composées. Mais ce plan est plus apparent que réel ; car, en fait, il y a de tout dans chacune des parties de l’œuvre, et la faute n’en est pas à l’ordonnateur : ces méditations complexes ne pouvaient être assujetties à aucun arrangement vraiment organique.

Si un tel ouvrage peut séduire les initiés, il semble fait pour repousser les simples lecteurs. Et pourtant, en tant qu’il révèle et qu’il éclaire profondément certaines

  1. Ibid., chap. XIV.
  2. Ibid., chap. XXIV.
  3. Ibid., chap. XXIV et suiv.