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MORALE D’ÉPICURE

cours des atomes produit des mondes infinis. Dans chaque être et dans chaque objet, les atomes sont toujours en mouvement ; ceux de la surface s’échappent, aussitôt remplacés par d’autres, et vont frapper les sens de l’observateur, qui perçoit ainsi les images (εἴδωλα) des objets réels et solides (στερέμνια). L’âme est un corps plus subtil, infus dans le corps proprement dit. Après la mort, cette âme se disperse (διασπείρεται), et perd ainsi toute sensibilité, comme le corps qu’elle a quitté[1]. Quant à imaginer un être incorporel, c’est une folie : il n’y a d’incorporel que le vide[2]. Les phénomènes qui se produisent dans le monde sont l’effet du jeu naturel des mouvements d’atomes. Aucune providence ne gouverne ces mouvements : ils sont le résultat du hasard (τύχη), qui est le maître souverain du monde[3]. Épicure ne veut même pas qu’on parle de la destinée, de la fatalité (εἱμαρμένη), comme les stoïciens[4] : il s’en tient à l’idée vague et un peu puérile du hasard. Il ne nie pas les dieux ; il en parle volontiers et souvent ; mais ses dieux, comme ceux de Démocrite, ne sont que des images ou idoles, composées d’atomes plus fins, êtres périssables aussi bien que l’homme, seulement plus heureux, et dont le bonheur même implique une indifférence complète à l’égard de toutes choses[5].

La morale est l’art de conduire la vie humaine selon sa vraie fin[6]. Or cette fin, pour tous les philosophes anciens, est le bonheur. Toute la dispute, entre eux, est de savoir où réside le bonheur. Épicure le place franchement dans le seul plaisir, c’est-à-dire dans la satis-

  1. Ibid., 65.
  2. Ibid., 67.
  3. Ibid. 77.
  4. Diog. L., X, 134.
  5. Diog. L., 123 et suiv. Cf. Usener, p. 232 et suiv.
  6. Cf. Guyau, La morale d’Épicure, Paris, 1878.