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LE ROMAN

riode, l’idée de la puissance du hasard (τύχη) s’était assise profondément dans les esprits. Une fois maîtresse des imaginations, elle les a mises en état d’accepter avec plaisir le spectacle d’événements incohérents, pourvu qu’ils donnassent lieu à des péripéties et à des coups de théâtre.

C’est avec ces trois éléments, amours d’élégie, conventions d’école, goût des péripéties, que s’est constitué le fonds du roman grec. Ces origines rendent raison de sa faiblesse native et de sa pauvreté. N’étant pas sorti de l’observation, il a manqué de réalité. Au lieu de s’attacher à l’étude de la vie et de la transporter dans des fictions qui en auraient mis en lumière certains aspects choisis, il n’a jamais fait que coudre les unes aux autres des aventures aussi monotones que compliquées et y mêler des discours d’amour, trop souvent fades et subtils. Il a eu, du drame, certains caractères extérieurs, le mouvement, les surprises, et il en a de bonne heure reçu le nom (δρᾶμα, δραματιϰόν). Mais ce qui donne au drame sa force, à savoir une action naturelle résultant des caractères, est précisément aussi ce qui lui a le plus manqué. Parfois seulement, certaines qualités de grâce et de finesse ont pu se faire jour dans ce genre faux et ont créé quelques œuvres aimables, dont une, par exception, s’est classée dans l’opinion de la postérité au rang des petits chefs-d’œuvre. C’est qu’une heureuse inspiration a rapproché alors la fiction de la réalité, et lui a communiqué un peu de cette vérité humaine, sans laquelle l’art littéraire n’est qu’un jeu de sophiste. Mais cela même ne semble pas avoir été le résultat d’une évolution régulière, d’un progrès normal, plus ou moins continu. L’histoire du roman grec semble, elle aussi, soumise aux caprices du hasard. Il est vrai que la chronologie en est mal fixée, que les éléments d’information sont encore très insuffisants, et que par suite