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CHAP. VI. — DE SEPTIME SÉVÈRE À DIOCLÉTIEN

voyant les jeunes serpents dévorer leur mère pour venger sur elle le meurtre de leur père, scandale qui arrache à l’auteur ce cri d’une ironie pathétique : « Que sont, à côté de ces animaux, vos Orestes et vos Alcméons, chers auteurs de tragédies ?[1] » Il est vrai qu’il oublie quelquefois son dessein principal ; et, s’il ne dépouille jamais le bel esprit, il cesse du moins par instants de moraliser. On rencontre donc dans son gros recueil des faits simplement curieux ou même intéressants. Mais ce qui en fait surtout le prix, c’est qu’on y trouve, sous forme d’extraits lus ou moins arrangés, bon nombre de fragments empruntés à des livres perdus de naturalistes, de géographes, de voyageurs, en particulier à la savante Histoire des Animaux et au Recueil de merveilles d’Alexandre de Myndos, écrivain du ie siècle de notre ère, qui semble avoir été sa principale source[2]. Au reste, sous prétexte de variété, Élien s’est abstenu de composer son livre[3] ; il a tout jeté pêle-mêle, au hasard de ses lectures. Son public ne lui demandait que des historiettes racontées dans le style à la mode ; les qualités auxquelles il a visé sont l’invention poétique et le style[4] ; il estimait qu’il avait réussi pleinement en cela, et ses contemporains semblent avoir été de son avis, car Suidas nous apprend qu’il fut surnommé Μελίγλωσσος « Élien à la langue de miel[5]. »

  1. Sur les animaux, 24.
  2. Sur les sources d’Élien dans son Περὶ ζῴων, voir l’art. cité de Wellmann dans Pauly-Wissowa et les études du même savant dans l’Hermes, XXVI et XXVII. Élien prétend avoir apporté aussi des observations personnelles, Épilogue, fin. Cela reste à prouver.
  3. Épilogue, vers le milieu.
  4. Prologue σπουδῆς ἄξιον μάθημα… ϰαὶ τῇ εὑρέσει τῇ περιττοτέρᾳ ϰαὶ τῇ φωνῇ. Il traduisait ses auteurs en langage littéraire : 1. ταῦτα… ἀθροίσας ϰαὶ περιϐαλὼν αὐτοῖς τὴν συνήθη λέξιν. La συνήθης λέξις s’oppose pour lui au langage technique des spécialistes.
  5. Suidas le cite sans cesse. Au xiiie siècle, ce succès durait encore : Manuel Philès d’Éphése lui emprunta la substance de son poème Περὶ ζῴων ἰδιότητος, dédié à l’empereur Michel Paléologue.