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ORIGINES DE LA LITTÉRATURE CHRÉTIENNE

chose de cette éducation première. Ils s’adressent à ceux qui détiennent le pouvoir, empereurs, magistrats, sénat, pour repousser à la fois les griefs de l’autorité publique et les calomnies de l’opinion populaire. Leur but est d’établir que le christianisme ne menace en rien l’État, qu’il est pur, non seulement des infamies dont on l’accuse, mais aussi des mauvaises intentions qu’on lui prête, enfin et surtout qu’il a pour lui la vérité. Chez la plupart d’entre eux, cette dernière vue prédomine. Au lieu de se défendre, ils attaquent. Ils décrient le paganisme, ils en montrent librement les absurdités et les hontes, et, en face de ces croyances condamnées, ils établissent les leurs. Satire d’une part, exposé dogmatique de l’autre. La satire a chez eux une franchise qui en fait le prix ; elle n’est ni piquante, ni habile, comme la moquerie de Lucien ; elle est naïve, rude, maladroite, mais forte ; elle s’attaque sans ménagements aux choses officielles, au culte public, aux jeux du cirque, à tout ce que la philosophie même souffrait ou excusait[1].

On est surpris que de telles choses aient pu être écrites dans l’Empire. Mais il faut songer qu’elles échappaient sans doute, par leur nature même, à la répression. Il n’est pas probable qu’elles fussent publiées, c’est-à-dire récitées en public ou mises en vente. C’étaient en général des suppliques adressées à l’empereur personnellement, et elles n’étaient pas censées sortir de ses bureaux ; elles circulaient évidemment, mais par des copies clandestines qu’on se passait de main en main. Si la propagande se faisait, c’était sans bruit, grâce à des communications privées. Les fidèles y trouvaient des arguments pour se fortifier eux-mêmes dans la foi, et ils s’en servaient pour achever la con-

  1. Sans excepter les apothéoses impériales ; voyez Justin, Première apologie, ch. xxi.