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CHAP. V. — HELLÉNISME ET CHRISTIANISME

de cette force, il n’en a point. Il admire vaguement la vertu romaine, faite de patience, d’énergie, de constance, de bon conseil[1]. Mais il ne sait pas l’étudier, comme l’avait fait Polybe, dans les institutions, dans une politique réfléchie et traditionnelle, ni en suivre pas à pas le développement à travers une longue série de siècles. Donc, point d’idée fondamentale. Ce qu’il peut y avoir d’unité apparente dans le récit lui vient surtout du dehors, des événements eux-mêmes, et cela est insuffisant ; l’unité du dedans, la vraie, tout au plus en trouve-t-on quelque germe dans un sentiment d’admiration confuse, incapable d’ailleurs de s’attacher à des objets précis. La première des conditions nécessaires à une œuvre d’art, la personnalité, fait défaut à cette vaste composition.

Par suite, l’ordonnance en est profondément défectueuse. Celle qu’Appien a imaginée a pu faire illusion à des lecteurs peu réfléchis : elle plaît par une sorte de clarté superficielle, elle est commode dans l’usage. Mais ce sont là des qualités qui se dérobent dès qu’on examine les choses plus sérieusement. Une histoire complète de Rome n’admet qu’un seul plan, qui sans doute pourra varier dans le détail selon les idées personnelles de l’historien, — pourvu qu’il en ait, — mais, qui restera toujours le même dans sa conformation essentielle. Ce plan, on peut le caractériser d’un mot, en disant qu’il doit être organique. Cela signifie qu’il doit nous faire assister au développement de la puissance romaine : il faut que nous voyions croître ses ambitions avec ses forces, que sa politique extérieure s’explique par son histoire intérieure, et, réciproquement, que les événements soient mis en rapport avec les institutions et les institutions elles-mêmes avec les mœurs, en un mot que Rome nous apparaisse comme un être qui vit, qui grandit et

  1. Préface, ch. II.