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LUCIEN ; LE PAMPHLET

sonnelle des éléments déjà existants. Que ce genre d’ailleurs soit secondaire, qu’il ait même quelque chose en soi d’un peu artificiel, cela est assez évident. La satire toute simple vaudra toujours mieux pour moraliser, la comédie franche pour étaler le ridicule. Mais quand, pour une cause ou pour une autre, ni la satire ni la comédie ne sont de saison, cette sorte de dialogue amusant, léger, qui court partout, qui se lit vite, qui peut devenir, selon les temps et les occasions, conférence, libelle ou feuilleton, a bien son mérite propre. Et c’est ainsi que Lucien, sans être un Aristophane, a mis au monde quelque chose qui s’est fait une place à côté du drame comique et qui l’a gardée.


Au reste, il ne convient pas de l’enfermer par un éloge exclusif dans un genre où lui-même n’a pas voulu s’enfermer. En dehors de la forme dialoguée, il est aussi, entre les anciens, le représentant par excellence du pamphlet et du récit fantastique. Ses brillantes qualités s’y sont manifestées avec non moins d’éclat.

Le pamphlet, chez lui, n’a pas de forme propre. C’est tantôt un récit moqueur, tantôt une argumentation, tantôt une instruction ironique. Dans la Mort de Pérégrinus, dans l’Alexandre, l’auteur a l’air de composer une simple relation ; il dit, ou est censé dire, ce qu’il a vu et entendu ; mais sa narration est, en fait, la plus mordante des diatribes. Dans la lettre à l’Ignorant qui collectionne des livres, dans la riposte à Timarque, il raisonne ; mais son raisonnement est une invective acerbe. Dans les observations Sur la manière d’écrire l’histoire, dans la lettre Sur ceux qui se font salarier, dans le Maître de rhétorique, il prend le rôle d’un conseiller qui donne des avis ; mais ces avis se transforment, tandis qu’il les formule, en satire impitoyable. Si la littérature grecque n’avait subi des pertes qui nous empêcheront à tout jamais de la