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CHAP. IV. — SOPHISTIQUE SOUS LES ANTONINS

lité contemporaine, se réduit à ceci : qu’il y a dans le monde des charlatans et des dupes, que la majorité des hommes, par goût du merveilleux, se prête au mensonge et ne demande qu’a être trompée. Voila tout : cette demi-vérité le contente. C’est là le fond de l’Incrédule, de la Mort de Pérégrinus, de l’Ami du mensonge, comme des dialogues relatifs à la mythologie et à la religion. Donc, l’âme de ses contemporains, alors même qu’il pense la décrire, ne lui est vraiment pas connue. Il ne se rend compte ni de la force du sentiment qui obligeait un Plutarque ou un Marc-Aurèle à interpréter les vieilles traditions pour en extraire ce qu’elles contenaient de vraiment religieux, ni de l’inquiétude d’esprit qui poussait un exalté tel que Pérégrinus à une sorte de folie, ni enfin de l’incertitude de la foule, se demandant où elle devait porter le besoin confus qu’elle avait d’espérer et d’aimer. Lorsqu’on songe à tout cela, les pamphlets de Lucien se rapetissent singulièrement, quel qu’en soit d’ailleurs le mérite de prestesse et d’élégance.


Une faible partie seulement de l’œuvre de Lucien se rapporte à la critique littéraire. Il n’y a pas lieu d’insister longuement sur les principes qui y sont soutenus. Ce sont ceux d’un homme de goût qui n’approfondit pas plus les questions littéraires que les questions morales ou religieuses, mais qui dépiste les ridicules avec une finesse et une indépendance remarquables. Lucien a signalé, dans la littérature de son temps, la plupart des défauts que l’abus de l’imitation et le goût de la virtuosité y produisaient. Il a senti la frivolité de la rhétorique, la vanité de ses artifices, son charlatanisme ; il a noté le ridicule des prétendus historiens pour qui l’histoire n’était qu’une matière de discours et de narrations scolaires ; il s’est raillé des Atticistes, adonnés au culte