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CHAPITRE II. — PHILOSOPHIE AU IIIe SIÈCLE

totélicienne ; mais tout de suite c’est l’orgueilleux, le flatteur, le grossier, — non l’orgueil, la flatterie ou la grossièreté, — qu’il a devant les yeux et qu’il met en scène. Il nous dit ses gestes ; il le fait parler ; De là vient qu’on a pu croire à une influence directe de la comédie sur cette manière de philosopher. Mais, outre que mille détails n’ont rien de scénique ou de dramatique, cette vivacité de forme n’est évidemment chez Théophraste, — comme souvent chez Démosthène, par exemple, — qu’un don naturel et spontané. C’est sa marque propre. Nul dessein d’ailleurs de faire à proprement parler œuvre d’art ; rien en tout cela qui rappelle, même de loin, la composition savante de tel morceau de La Bruyère (Giton et Phédon, Irène, etc.) ni les grâces savantes de son style. Ici, le style est tout uni ; la composition existe à peine. L’orgueilleux, dira Théophraste, est un homme qui… (τοιοῦτος οἶος…) ; suivent quinze ou vingt phrases toutes à l’infinitif, toutes jetées dans le même moule, et qui ne sont même pas groupées suivant une gradation quelconque, en vue d’un effet à produire. Théophraste n’est jamais, dans les Caractères, qu’un savant, un naturaliste de la morale, mais un savant d’esprit délicat, d’imagination vive et fidèle, au langage souple et précis.

On sait la fortune de ce petit ouvrage. Quand il n’aurait que le mérite d’avoir inspiré La Bruyère, il serait déjà de grand prix. Mais il est probable qu’il dut avoir une influence sensible sur le goût des contemporains pour les analyses psychologiques : s’il est un témoignage et un effet de ce goût général, il a sans doute contribue à son tour à l’étendre et à le diriger.

Les Fragments présentent aussi un vif intérêt. Quelques-uns (notamment les plus étendus) ont surtout de l’importance pour l’histoire des opinions philosophiques[1].

  1. Par ex. les fragm. I à XII (Wimmer). — Le fragm. XXX