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THÉOPHRASTE.

souvenir du poète comique. Ce n’est pourtant là qu’une conjecture fort douteuse : et, à supposer même que les Caractères aient été tirés du Περὶ κωμῳδίας, il ne suit pas de le que Théophraste eût pris ses documents dans Ménandre ; il est même plus probable qu’il les avait demandés, selon l’exemple d’Aristote dans la Rhétorique, à l’observation directe de la nature. Résignons-nous donc à ignorer. Ce qui du moins n’est pas douteux, c’est l’intérêt moral et littéraire de ces Caractères ; car Théophraste est un fin psychologue et un écrivain délicat.

Son champ d’observation n’est pas très étendu : il s’enferme dans un petit coin de la morale générale (les défauts), et ne montre guère les particularités qui dérivent de l’âge, de la profession, des circonstances (soldat fanfaron, cuisiniers, esclaves, parasites, jeunes gens et vieillards, amoureux de la comédie nouvelle), ni celles qui tiennent à l’individu (portraits de La Bruyère). Ce sont des défauts universels qu’il analyse : fausseté, flatterie, orgueil, grossièreté, sottise, etc. Mais il les analyse avec une extrême subtilité ; il y distingue des nuances variées. Dans l’espèce « flatterie », il étudie séparément le flatteur par intérêt et le flatteur par complaisance ou faiblesse (περὶ κολακείας et περὶ ἀρεσκείας). Dans l’orgueil, il distingue trois ou quatre sous-types différents ; de même dans la grossièreté. Et cette subtilité n’est pas artificielle : elle repose sur des différences réelles. Ces fines études de psychologie sont dans le goût du temps : ce sont elles qui remplissent la comédie nouvelle et qui font le prix de l’épopée d’Apollonios. Aristote avait donné l’exemple dans la Rhétorique, mais il n’avait étudié que les « passions » principales, sans entrer dans le minutieux détail des « défauts ».

De plus, les analyses d’Aristote étaient abstraites : celles de Théophraste sont concrètes et pittoresques. Chacun de ses caractères débute par une définition aris-