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CHAP. III. — RENAISSANCE AU IIe SIÈCLE

trop mêlés aux événements ; on a quelque peine à les distinguer au milieu de la confusion des choses ; l’attention, appelée sur les destinées des États et sur le conflit des grands intérêts, ne peut se donner qu’imparfaitement aux individus ; et pourtant, c’est dans les individus qu’est la partie vraiment humaine du spectacle. Chez Plutarque, on ne voit qu’eux. Ils sont là, devant nous, avec leurs qualités et leurs défauts, avec leurs affections et leurs haines, avec leurs petitesses et leurs grandeurs ; nous les regardons vivre : nous assistons à leurs actes ; nous prenons part à leurs sentiments. C’est un plaisir pour quiconque est curieux des choses humaines. L’histoire générale sert de fond à ces biographies ; elle leur donne en quelque sorte de la profondeur : car elle nous laisse entrevoir, derrière les grands hommes, des peuples qui s’agitent, des multitudes qui se passionnent, des États qui grandissent ou qui déclinent. Mais les grands hommes restent au premier plan. L’histoire se condense en eux ; elle vit en eux ; elle est la matière où s’exercent leurs forces et où se déploient leurs passions.

Et celui qui nous les présente, un par un, est un moraliste d’instinct et de profession. Il a le goût du détail caractéristique, qui découvre l’âme ; et il le recherche avec une application parfaitement consciente d’elle-même. Nul ne sait mieux que lui en quoi la biographie diffère de l’histoire. S’il raconte, après Thucydide et Philistos, les actions de Nicias, voici comment il marque la différence des méthodes[1] :

Les actions que Thucydide et Philistos ont rapportées, je ne pouvais les passer sous silence, car elles révèlent le caractère de mon personnage, ses dispositions intimes, mises au jour

  1. Nicias, ch. 1. Je traduis sur le texte de Sintenis, mais je lis ἐκκαλυπτομένην au lieu de καλυπτομένην.