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PLUTARQUE ; SES ŒUVRES MORALES

tout ce qu’elle peut donner, lui élargit le cœur et le rend vraiment apte à la société.

Son écrit principal sur l’amitié est perdu[1]. Il nous reste une courte esquisse de dissertation Sur le grand nombre des amis (Περὶ πολυφιλίας), où il montre pourquoi la nature même de l’amitié répugne à la pluralité des amis, et un traité plus développé Sur les moyens de distinguer l’ami du flatteur (Πῶς ἄν τις διακρίνειε τὸν κόλακα τοῦ φίλου). Tout en avouant qu’il y est trop ingénieux, trop occupé à combiner de petits stratagèmes pour dépister les fausses complaisances, qu’il ne voit pas les choses d’assez haut ni assez simplement, il faut reconnaitre que de ces deux ouvrages ressort une conception très pure et très noble de la valeur de l’amitié. Ce qu’on aimerait à savoir, c’est si l’auteur, à côté de l’amitié proprement dite, depuis longtemps définie, étudiée, prônée par ses prédécesseurs en philosophie, et toujours rare en somme, n’avait pas fait aussi une place dans sa morale à ces formes de camaraderie, de sociabilité, de bienveillance mondaine par lesquelles les hommes se rapprochent les uns des autres. Dans un écrit de nature différente, il a de justes et délicates paroles sur les égards qu’un collègue doit à son collègue[2], et l’on voit, par les Propos de table et par plusieurs de ses dialogues, combien il a goûté le charme et senti le profit des entretiens. Il eût été digne de lui de tirer de là une théorie, afin d’élargir la notion un peu étroite que la philosophie, trop préoccupée d’idéal, avait donnée de l’amitié. S’il ne l’a pas fait explicitement dans des pages que nous n’avons plus, on peut

  1. Le Περὶ φιλίας dont Stobée nous a conservé quelques extraits. La plupart sont rapportés, il est vrai, par lui à une Lettre sur l’amitié, qui était peut-être distincte du traité. Voir Catal. de Lamprias, no 82, Πρὸς Βιθυνὸν περὶ φιλίας.
  2. Préceptes politiques, XX.