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CHAP. III. — RENAISSANCE AU IIe SIÈCLE

superstitions. Le polythéisme hellénique, c’est-à-dire en somme l’hellénisme lui-même, était menacé.

Comment, dans ces conditions, un croyant intelligent, fût-il d’ailleurs optimiste par nature, comme Plutarque, n’aurait-il pas ressenti quelque inquiétude ? Le temps n’était plus des belles et libres recherches, des rêves désintéressés, où l’imagination devançait la raison. Il fallait, bon gré mal gré, répondre aux objections, défendre les dogmes attaqués, au besoin les modifier ou les développer pour les accommoder aux temps nouveaux, en un mot faire œuvre d’apologiste. C’est pour cette raison que les écrits religieux de Plutarque appartiennent tous à la littérature militante, autant du moins que leur auteur, avec sa nature sage et modérée, éprise de paix et de conciliation, pouvait être militant.


Celui où il a mis le plus de passion, et probablement un des plus anciens, est le traité de la Superstition. Si l’antithèse qu’il y poursuit entre l’athéisme et la superstition, deux excès également condamnables à ses yeux, a quelque chose d’un peu artificiel, si la dialectique y fait tort parfois à l’observation, qu’on voudrait plus libre et plus complète, du moins le point de vue hellénique s’y manifeste avec éclat. L’auteur déteste le fanatisme, les pratiques violentes inspirées par la peur, sentiment qui outrage Dieu et qui dégrade l’homme, tout ce qui compromet la famille et la cité. Une allusion à la prise de Jérusalem en 70 nous laisse voir le mépris naturel de ce fils de Platon pour les sombres sectateurs de la Thora ; leur héroïsme ne l’a pas touché ; avec le Socrate du Protagoras, il ne comprend le courage que comme une des formes de la raison. La religion qu’il aime est douce et humaine ; elle ne veut pas se prêter à concevoir un Dieu jaloux, cruel, semblable à un maître inintelligent et méchant. Bien loin de comprimer l’âme,