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PLUTARQUE ; FORMES DE SES ŒUVRES

imitation de la réalité, il s’aperçut vite, s’il ne l’avait pas deviné tout d’abord, qu’elle pouvait avoir une valeur philosophique. Elle se prêtait mieux à mettre en relief les rapports des idées avec les hommes, à faire comprendre et à étudier les sentiments qu’elles excitent ; il y avait profit pour un lecteur intelligent à voir en action comment elles s’appellent les unes les autres, par quelles rencontres elles naissent ou se développent, quels scrupules elles suscitent parfois, comment et pourquoi certains esprits, ou plutôt certaines âmes, hésitent devant les exigences de la logique, et enfin comment l’homme, être complexe, se comporte dans la recherche de la vérité. Ce spectacle, si instructif et si suggestif, c’était celui que Plutarque préférait dans la vie quotidienne : il eut plaisir à le transporter dans la fiction.

Les Propos de table, qui sont de simples conversations, notées au jour le jour, et transcrites en abrégé, nous montrent bien ce qu’il y a de réalité solide dans ses dialogues. Il eut rarement la mauvaise idée de vouloir s’en passer. Le dialogue Sur le démon de Socrate est le seul où il ait tenté de mettre en scène fictivement des personnages historiques et un grand événement, qui est ici la reprise de la Cadmée par Pélopidas. Cela fait une composition qui est franchement mauvaise. Plutarque n’était pas assez grand artiste pour conduire une action aussi compliquée, pour donner de la vie à de tels hommes, et pour associer une discussion théorique à un drame. Son Gryllos, où l’entretien a lieu entre Ulysse et un de ses compagnons transformés par Circé, n’est qu’une ébauche inachevée, sur laquelle il est difficile de se prononcer. Laissons de côté ces exceptions. Le vrai type du dialogue de Plutarque, c’est celui où il se met en scène lui-même, soit sous son nom, soit sous un nom fictif, avec ses frères, ses amis, avec des personnages, réels ou imaginaires, mais pris dans la so-