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CHAP. III. — RENAISSANCE AU IIe SIÈCLE

nent une image assez vive de la société contemporaine[1] ; mais ils nous intéressent aussi, et plus encore, par la personnalité de l’auteur qui s’y laisse voir partout.

Cette personnalité est en partie artificielle, en partie naïve. Devenu philosophe, Dion s’est évidemment proposé pour modèle Socrate, qu’il connaissait bien par Xénophon et par Platon ; mais s’il a songé à l’imiter, c’est qu’il lui ressemblait déjà naturellement. Il y a, certes, une part d’affectation, gracieuse d’ailleurs, dans sa manière de se donner pour un ignorant, pour un homme sans art et sans talent, bon toutefois à stimuler les autres, à les faire réfléchir[2]. Dion est un charmant orateur, et il ne le sait jamais mieux que quand il fait semblant de l’ignorer. Mais tandis que ses contemporains, les Polémon et les Scopélien, étalaient leur contentement d’eux-mêmes, il dissimule, lui, le sentiment qu’il a de son talent, parce qu’au fond, sans peut-être dédaigner ce talent autant qu’il le dit, il en fait pourtant moins de cas que des vérités morales qu’il veut exprimer. D’ailleurs, il y avait certainement en lui une bonhomie innée et une douceur légèrement moqueuse, qui s’accommodaient au mieux de cette sorte d’ironie socratique ; s’il s’y trouvait ainsi à l’aise, c’est que sa nature même l’y portait.

Avec l’ironie, il a pris aussi à Socrate le franc-parler, et pour la même raison. La sincérité lui était naturelle, et elle était nécessaire à sa mission ; mais il en avait fait aussi un élément du rôle qu’il se plaisait à jouer, un des traits de la physionomie qu’il s’était donnée et qui le rendait populaire. Souvent, il la faisait accepter par un curieux mélange de brusquerie et d’en-

  1. Burckhardt, Wert des Dio Chrysostomus für die Kenntniss seiner Zeit (Schweitz. Museum, IV, 97-191).
  2. Voir en particulier tout le long exorde de l’Olympique Or. 12).