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CHAPITRE II. — D’AUGUSTE À DOMITIEN

d’intermédiaire entre Platon et les écrivains chrétiens. Ceux qui disaient de lui, comme le rapporte Suidas[1], qu’il « platonisait », traduisaient ingénieusement une impression juste, mais qui a besoin d’être définie et complétée.

Bien des affinités naturelles rapprochaient Philon de Platon, et il n’avait qu’à suivre son instinct pour se développer, en tant qu’écrivain, sous l’influence prédominante et constante de cet admirable modèle. Il ressemble à Platon par l’abondance facile, par le courant large et libre du style, par une ampleur qui est ordonnée sans être périodique ; il a, comme lui aussi, quoique à un moindre degré, le don d’associer sans disparate la poésie à la prose, l’invention des images, la faculté de rendre vivantes les choses abstraites, celle de mélanger la subtilité de la dialectique à une certaine grâce originale de rêve et de sentiment.

Mais, outre qu’il est très inférieur à son maître par l’imagination, il manque absolument de cet instinct dramatique qui prêtait tant de vie et de variété à la dialectique platonicienne. Son abondance est presque toujours prolixe et devient vite monotone. D’ailleurs, il est bien loin de cette spontanéité charmante, qui n’avait pu se produire qu’en un moment bien court, dans la floraison toute jeune de l’atticisme. Bien qu’il rejette très heureusement le vocabulaire technique et disgracieux des écoles de philosophie contemporaine, il emploie encore trop de termes abstraits, quelquefois aussi des expressions recherchées, dont le sens précis demeure obscur. La rhétorique des écoles, sans le dominer, ne lui est pas non plus étrangère, surtout dans les parties narratives de ses œuvres, où il met en scène des per-

  1. Suidas, Φίλων : Ἐπλούτησε τε λόγον παρόμοιον Πλάτωνι, ὡς καὶ εἰς παροιμίαν παρ’Ἕλλησι τοῦτο χωρῆσαι· « ἢ Πλάτων φιλωνίζει ἢ Φιλων πλατωνίζει. »