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VUE D’ENSEMBLE

pouvait les émouvoir, non les idées. D’ailleurs, indifférents aux choses publiques, habitués à vivre en troupeau humain, quel grand courant de pensée ou de sentiment aurait pu se développer parmi eux ? Les lettrés vivaient au dessus de cette foule et en dehors d’elle, formant comme un monde distinct, qui n’avait pas d’action sur ces multitudes inférieures, et qui ne cherchait pas à en avoir. Polis, élégants, instruits, faisant de l’art savant et ingénieux, ils n’étaient bien compris que des gens polis eux-mêmes, c’est-à-dire d’une classe restreinte.

Cela les condamnait forcément, après une courte période de succès, à la stérilité. Car cette classe supérieure, toujours la même, indéfiniment soumise à la même éducation, à peu près étrangère à tout ce qui venait d’en bas, ne renouvelait guère ses idées ; or l’imitation qui ne change jamais de modèles est destinée à s’épuiser promptement. Ce sort fatal fut celui de l’éloquence profane dès la fin du second siècle. Après la période brillante que clôt Lucien, elle décline à vue d’œil. Au iiie siècle, elle est surtout représentée par des sophistes sans idées, qui imitent des imitateurs et qui se travaillent à orner des choses insignifiantes ; c’est le fait des Élien, des Philostrate, des Athénée. Dion Cassius fait exception au milieu d’eux par un certain sérieux, qui manque d’ailleurs d’élévation et de force.

La philosophie seule, en ce temps, fit un effort intéressant pour sortir du milieu étroit où s’enfermait la littérature proprement dite. Dion, au début du second siècle, avait essayé déjà, comme nous le verrons, une sorte de prédication populaire. Mais une pareille entreprise ne pouvait avoir qu’une apparence éphémère de succès. Avec tout son esprit, celui qui la tentait ne possédait aucun moyen efficace de toucher les multitudes ; car il ne pouvait s’entendre avec elles que sur quelques points d’une morale assez banale. Au fond, les croyances, les