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APPLICATIONS ET EXEMPLES

fait pour goûter, dans une politique généreuse, le côté sentimental, qui nous émeut aujourd’hui encore, et que cette disposition lui a peut-être fermé les yeux sur les mérites, même pratiques, de cette politique. Il faut cependant noter, pour être tout à fait juste, qu’il défend dans ce passage des hommes d’État mégalopolitains, ses compatriotes, violemment attaqués par Démosthène comme traîtres, et que son plaidoyer, d’ailleurs modéré, part d’un sentiment facile à comprendre.

Si nous passons, de ces vues générales et philosophiques, à des sujets plus particuliers, nous trouverons chez lui les mêmes mérites d’historien judicieux et pénétrant. Son récit de la marche d’Annibal, d’Espagne en Italie, est, dans l’ensemble d’une netteté supérieure[1]. Pour l’apprécier pleinement, il suffit de le comparer au récit correspondant de Tite-Live, plus brillant presque toujours, mais bien moins satisfaisant dans le détail, quoique visiblement inspiré par celui de son prédécesseur[2]. Tite-Live est pittoresque, dramatique, oratoire ; Polybe, plus terne, est plus précis, et fait mieux comprendre les choses. Par exemple, au passage du Rhône, comment Annibal peut-il réunir tant de bateaux ? Tite-Live en donne une raison morale : les barbares avaient hâte de débarrasser leur territoire de l’armée carthaginoise. Soit ; mais Polybe nous explique qu’il y avait sur le Rhône une navigation commerciale très active, et que les bateaux ne manquaient pas ; il indique en outre avec précision ce que sont ces bateaux. Dans le passage des Alpes, il y a un endroit difficile où l’armée semble près d’être arrêtée. Dans Tite-Live, la description du lieu est brillante, mais incompréhensible ; dans Polybe, tout est parfaitement clair ; il est évident que Tite-Live, tout en copiant son prédécesseur, a mal saisi l’opération et n’en a

  1. Polybe, III, 39-55.
  2. Tite-Live, XXI, 26-36.